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Baisse des prix du pétrole : une bénédiction ?

Après la décision de l’OPEP de ne pas modifier son plafond de production d’or noir pour les mois à venir, les prix de l’or noir ont accentué leur baisse et atteint des niveaux plus vus depuis la crise de 2008. Christine Lagarde, mais également un certain nombre de présidents de réserve fédérale américaine régionale, se sont félicités de cette baisse et de ses effets bénéfiques pour le pouvoir d’achat des ménages et la croissance économique. Alors, aubaine la baisse des prix du pétrole ? Pas si sûr…

La logique qui sous-tend le raisonnement de Madame Lagarde et des autres intervenants consiste dans le fait que la baisse du pétrole, si elle limite les revenus des entreprises productrices, agit comme une baisse de prélèvement chez les ménages. Ceux-ci seraient alors enclin à utiliser cet effet d’aubaine pour consommer, réinjectant davantage ce « revenu » dans l’économie que ne l’auraient fait les compagnies pétrolières. Selon différentes études, une baisse de 20$ du prix du baril aurait ainsi la capacité à créer 0.25 points de croissance mondiale supplémentaire.

Mais ceci ne résiste pas à l’épreuve des faits. Ainsi, sur la dernière décennie, chacune des baisses de prix du pétrole supérieures à 20% ne s’est pas soldée par une hausse de la consommation outre-Atlantique.

Ceci s’explique par le fait qu’un tel effet d’aubaine n’est possible que si la baisse des prix de l’or noir trouve son origine dans une hausse de l’offre et non dans une baisse de la demande. Or, si l’offre de pétrole a bien progressé cette année, force est de constater que ce n’est pas de là qu’est venue la vraie surprise. Certes, la croissance des pétroles de roche mère aux Etats-Unis a été un peu plus soutenue que prévue. Mais il n’en reste pas moins que la production mondiale, hors pétrole non conventionnel est en recul depuis maintenant près de 4 ans !

On a bien eu aussi une bonne surprise de la part de la Libye, avec une reprise de production légèrement supérieure aux attentes. Mais c’est bel et bien de la demande qu’est venue la surprise. Avec une révision à la baisse de la croissance européenne, de la croissance chinoise, de la croissance japonaise et même de la croissance américaine, les estimations de croissance de la consommation, établies à 1 300 000 barils par jour en début d’année, a été revue en baisse à 680 000 barils par jour dans le rapport du mois de décembre de l’Agence Internationale à l’Energie (AIE).

Dans un tel contexte, la baisse des prix du pétrole peut même avoir des effets pervers, ce que Mario Draghi dans la dernière conférence de presse de la Banque Centrale Européenne a appelé les effets de second tour. En effet, dans un contexte où les indices de prix sont mal orientés, avec notamment un indice « core » en baisse de 0.2% en France, la baisse des prix de l’énergie, qui représentent environ 10% de l’indice des prix à la consommation partout dans le monde, n’est pas une bonne nouvelle. La baisse des prix du pétrole pourrait en effet pousser les consommateurs à attendre pour consommer, et amputer d’autant la croissance.

Et ce n’est pas tout. Les entreprises du secteur de l’énergie sont très importantes pour l’économie américaine car elles représentent une part importante des investissements réalisés par les entreprises, l’une des composantes du PIB. Or, on l’a vu avec les compagnies minières, la baisse des cours amène à la rationalisation des investissements. Le secteur de l’énergie étant responsable de près du tiers du total des dépenses d’investissement de toutes les entreprises du S&P 500, on peut s’attendre à un impact important sur la croissance américaine. Rappelons aussi que, début décembre, le secteur énergies représentait 11% des bénéfices du S&P 500 et 8% de la capitalisation boursière de l’indice. Pour toute ces raisons, certains, comme Saxo Bank, évoque la possibilité d’un impact négatif de 0.5% de PIB pour la croissance américaine.

Mais la baisse des prix du pétrole ne présente pas qu’un risque direct sur la croissance. Elle présente aussi un risque pour l’emploi, notamment aux Etats-Unis. Le développement des gaz de schiste a été l’un des principaux moteurs de la croissance américaine. Certains estiment notamment que l’exploitation des hydrocarbures est l’une des principales sources de création d’emploi aux USA ces dernières années. Haliburton vient déjà d’annoncer qu’il comptait licencier 1000 personnes dans les prochains mois.

Craintes sur la consommation, craintes sur l’emploi, mais aussi et surtout craintes financières. Avec l’effondrement des rendements ces dernières années, les investisseurs ont cherché des sources de rentabilité à tout prix, ignorant la notion de risque. On a ainsi vu se développer nombre d’entreprises risquées, capables d’emprunter des sommes très importantes dans des conditions avantageuses. C’est l’une des raisons qui a permis aux sociétés pétrolières exploitant les pétroles de roche mère, de multiplier les projets, malgré une rentabilité conditionnée par un maintien des prix du pétrole sur des niveaux extrêmement élevés. Deutsche Bank estime ainsi que les sociétés du secteur de l’énergie qui ont fait ce type d’émissions obligataires (qui représentent à elles seules 16% du secteur des émissions à haut rendement aujourd’hui) sont toutes en risque de défaut avec un baril de pétrole à 60$. La banque ajoute que les sociétés ayant fait défaut ont toutes atteint un ratio dettes sur valorisation de l’entreprise de 65% dans les 2 ans qui ont précédé leur faillite. Actuellement, et toujours selon l’établissement, avec un baril en dessous de 60$, la totalité des compagnies ayant émis des obligations à haut rendement est probablement arrivée à ce niveau. La conséquence est alors qu’on peut s’attendre à un taux de défaut de 30% de ces entreprises notées entre B et CCC. Si ce phénomène pourrait ne pas toucher les compagnies productrices dans un premier temps car celles-ci se sont pour beaucoup hedgées, les banques prêteuses ont en revanche du souci à se faire…

Les autres grands perdants de ce mouvement sont sans nul doute les états producteurs, qu’il s’agisse des états américains, dont certains ont du mal à boucler leur budget (voir ici), de la Norvège, qui a dû abaisser ses taux d’intérêt en urgence pour tenir compte de l’impact de la baisse des prix du pétrole sur son économie, ou des pays de l’OPEP qui ont besoin des recettes du pétrole pour maintenir leurs économies à flot. Sans oublier la Russie, qui voit ses revenus liés à l’exportation pétrolière fondre et pourrait rapidement se retrouver en récession.
On le voit en tout cas, les Etats-Unis ont beaucoup à perdre dans la baisse du pétrole. On pourrait même dire beaucoup trop à perdre pour ne pas en être conscients. C’est la raison pour laquelle il semble bel et bien que la théorie d’un complot américano-saoudien soit sans fondement : les USA font des erreurs diplomatiques, mais ils ne sont pas fous ! D’autant que la situation inconfortable dans laquelle se retrouve la Russie de Vladimir Poutine pourrait l’amener à des réactions d’orgueil incontrôlées qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences dans le dossier ukrainien. Non, il semble plutôt que ce qui se joue en ce moment, c’est règlement de compte à Petrol City…

Gardons en tête que cette bataille ne durera pas éternellement et obligera la production à s’adapter à la nouvelle réalité du marché, même si cela peut sans doute prendre quelques mois. On constatera alors tout le retard pris dans les investissements et dans la recherche de nouveaux gisements nécessaires au remplacement des gisements de pétrole conventionnel actuels. Les prix du début d’année 2015 pourraient alors constituer un point bas historique sur le prix de l’or noir…

Note réalisée Benjamin Louvet – Associé Gérant – Prim’ finance – Econoclaste

1 réponse
  1. Vanessa
    Vanessa dit :

    Bien sûr, les consommateurs sont toujours contents quand les prix baissent. Par contre, les producteurs le sont moins. Je me demande donc pourquoi l’OPEP ne produit pas plus? A mon avis, c’est qu’il ont pris conscience de la limite de leur stocks.

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