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BCE : parce qu’il fallait faire comme tout le monde…

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Ça y est, la Banque Centrale Européenne (BCE) semble enfin prête à emboîter le pas à ses homologues internationales… à savoir descendre dans sa cave pour imprimer des billets de banque et les donner aux États pour leur permettre de maintenir leur train de vie. Après tout, quoi de plus normal ?

Une fois de plus, le vieil adage : « il est plus facile d’avoir tort ensemble que raison tout seul » l’aura emporté. Après les Etats-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni et le Japon, l’orthodoxe Banque Centrale Européenne va finir par se plier à cette pratique appelée Quantitative Easing (QE), devenue une véritable lampe d’Aladin depuis 2008.

Retour en 3 points sur les effets positifs attendus de ce « QE » que tout le monde appelle de ses vœux, sans trop savoir pourquoi :

1. Le QE devrait permettre aux pays européens de voir leur coût de financement baisser, permettant aux États ainsi qu’aux agents privés (entreprises et ménages) de payer moins de charges financières… ce qui boostera la consommation, l’investissement et donc la croissance. Vraiment ? Car pour aller plus bas que les niveaux actuels (0,4% en Allemagne, 0,6% en France, 1,6% en Italie ou encore 1,4% en Espagne), il faudrait que la Banque Centrale Européenne se mette à payer les gens pour qu’ils s’endettent! Un peu de sérieux, la baisse des taux d’intérêt a déjà eu lieu, permettant ainsi aux taux européens de passer de 5% en 2012 à moins de 1,5% aujourd’hui… et cela sans qu’il soit nécessaire de descendre dans sa cave imprimer des billets de banque.

Conclusion 1 : le QE est aujourd’hui clairement inutile pour faire baisser les taux d’intérêt, ils sont déjà historiquement bas.

2. Le QE devrait permettre une baisse de l’euro salvatrice, autorisant nos champions européens a prendre des parts de marché à l’export partout dans le monde. Si cela pouvait être aussi simple…
D’abord, il faut noter qu’il n’est pas acquis que l’impression de billets permette une chute de la monnaie. Pour preuve, le dollar n’a pas baissé lors des trois QE mis en place par les États-Unis depuis 2009.
Au delà de ces considérations techniques, une monnaie faible est-elle une garantie de retour vers la croissance? Là encore, les États-Unis tendent à nous prouver le contraire : leur retour à un niveau de croissance correct autour de 2% annuel (même s’il reste moins élevé que par le passé) est surtout dû au maintien d’une demande intérieure américaine à un niveau acceptable. A l’inverse, la chute de la monnaie japonaise des deux dernières années n’a eu que des effets négatifs sur l’économie nippone, en déprimant encore plus un pouvoir d’achat des ménages déjà sous haute tension. Conséquence, le pays se trouve aujourd’hui encore plus mal en point qu’avant les fameux « Abenomics ».
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’Europe dans son ensemble est déjà la zone la plus compétitive du monde parmi les pays industrialisés : elle affiche 3% à 4% d’excédents commerciaux quand les États-Unis et le Japon se trouvent en net déficit. La réalité, c’est que les problèmes de compétitivité sont internes à la zone euro. De ce fait, une baisse globale de la monnaie unique ne permettra en aucun cas de réduire ces déséquilibres… à moins que certains croient encore que l’Espagne peut concurrencer des pays émergents voire en développement en termes de coût de production.

Conclusion 2 : l’euro a déjà beaucoup baissé (-15% contre le dollar en un an)… Le faire baisser plus est à la fois inutile pour nos exportations qui n’en ont pas besoin et surtout dangereux car cela déprimerait encore plus la demande intérieure européenne.

3. Le QE devrait faire monter les cours boursiers. C’est effectivement probable, via un mécanisme simple : en achetant une grande proportion de l’offre obligataire disponible sur les marchés financiers européens, la Banque Centrale Européenne oblige les investisseurs institutionnels (assurances, caisses de retraite, mutuelles, banques) à acheter ce qu’il reste… à savoir des actions, ce qui provoque une hausse de leur prix. D’une certaine manière, ce mécanisme peut tout à fait être assimilé à de l’administration de prix : c’est une entité publique qui fixe les prix à la fois des taux d’intérêt et des actions… Non vous ne rêvez pas !
Attention toutefois au retour de bâton. A terme, lorsque la Banque Centrale arrêtera d’acheter, les actifs financiers retrouveront brutalement leurs niveaux d’équilibre naturel plus en phase avec les fondamentaux économiques, à savoir quelques dizaines de pourcents en deçà de niveaux maintenus artificiellement élevés par la BCE.

Conclusion 3 : le QE poussera sans doute les cours boursiers vers le haut au même titre qu’il maintiendra les taux d’intérêt à des niveaux proches de zéro… Mais pour quoi faire? Les Européens y seront bien moins sensibles que des américains ou des japonais, la part de leur patrimoine investie en actions étant des plus infime. Dans ces conditions, imaginer que cela puisse pousser à plus de consommation, donc de croissance, nous semble tout à fait tiré par les cheveux.

En conclusion, pas de doute : le QE européen trouve son origine dans un effet de mode plus que dans une vraie nécessité pour le Vieux continent. Il illustre une nouvelle fois le fait que les autorités n’ont toujours pas compris que la déflation qui s’impose aujourd’hui en Europe est avant tout le fruit d’une demande interne structurellement déprimée, conséquence à la fois du vieillissement de nos populations autant que des problèmes de solvabilité des ménages. Combien de QE faudra-t-il avant que les autorités politiques et monétaires comprennent qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a plus soif ?

Pierre Sabatier.

6 réponses
  1. emmanuel
    emmanuel dit :

    Merci.
    Il reconfortant de constater que des jeunes economistes d’une nouvelle ecole ont une autre lecture de cette crise.
    Continuez a nous eclairer.

    Merci infiniment.

  2. fred1903
    fred1903 dit :

    J’ai flippé le métal jaune mais 1302 et l’argent je n’en parle meme pas IL EXPLOSE.

  3. Rolland
    Rolland dit :

    Votre point de vue est tres pragmatique et intéressant.
    On va encore faire les choses en dernier, être la dernière roue du carosse….sur une chaussée déformée
    Je partage cette idée.

  4. warnesson
    warnesson dit :

    Merci Pierre pour cette analyse une fois encore pragmatique et pertinente. J’adhère pleinement à tes conclusions et ce d’autant plus que la France est structurellement importatrice, ce qui relativise encore plus les effets positifs d’une trop grande dépréciation de l’euro… l’inversion du trend sur le cours du pétrole aurait de plus un effet levier fortement défavorable sur les matières plastiques et tous les produits générés par cette énergie ; qui peut affirmer avec sincérité que le baril restera à ces niveaux historiquement bas de manière durable ? Pour les pays producteurs, contrer les gaz de schiste par une politique uniquement basée sur le prix ne vaudra qu’un temps.
    Gérer c’est prévoir dit le vie adage. ..

  5. Daniel
    Daniel dit :

    Bonjour !

    J’ai lu avec intérêt ce billet qui a le mérite de ne pas suivre la « ligne officielle ».

    Cela dit, je vous propose une petite correction sur un point secondaire. Vous évoquez les Etats ayant déjà procédé à un QE et vous y incluez la Suisse.
    De fait, c’est incorrect. Si le bilan de la Banque nationale suisse a enflé considérablement, à l’instar de ceux de la Fed ou de la Banque d’Angleterre, ce n’est pas par le biais d’un QE, consistant à racheter des titres de sa propre zone monétaire pour « faire marcher la planche à billets » (même si on imprime plus de billets… 😉 ). La BNS a acheté des titres étrangers (pour l’essentiel libellé en euros) et non des titres publics suisses dont le montant dans son bilan est resté relativement stable. L’objectif de la BNS n’était pas le même que celui des banques centrales procédant à des QE pour stimuler l’économie : il s’agissait de maintenir un cours pas trop fort pour le franc suisse en rachetant des titres étrangers pour l’affaiblir. La Suisse n’avait pas besoin d’un QE vu qu’elle ne connaissait pas la récession, mais au contraire une croissance régulière…

  6. Les Econoclastes
    Les Econoclastes dit :

    QE siginifie politique monétaire non conventionnelle : cela consiste à utiliser d’autres outils que les taux directeurs. Peu importe qu’une Banque Centrale achète ou non les titres de son propre pays, l’extension de la taille de son bilan pour acheter des titres (quels qu’ils soient) suffit à qualifier cela de QE. Pierre Sabatier

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