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Peut-on sauver l’accord de Minsk ?

Le fragile accord signé à Minsk1 le jeudi 12 février au matin entre Mme Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et le président ukrainien M. Poroshenko est aujourd’hui clairement en crise. Les regards se focalisent sur la question du cessez-le-feu. C’est une question importante, mais qui pourrait masquer d’autres problèmes, encore plus grave. Ainsi, le gouvernement de Kiev a indiqué qu’il n’entendait pas appliquer la « fédéralisation » du pays à laquelle il s’est pourtant engagé. Enfin, il est possible que des troubles politiques affectent les forces de Kiev, voire qu’un coup d’Etat venant de la fraction la plus extrémiste, se produise d’ici les premières semaines.

La question du cessez-le-feu

Le cessez-le-feu doit avoir lieu le dimanche 15 février à 0h00. Pour l’instant les combats continuent. Cela est dû à la volonté de chaque partie de « grignoter » sur la ligne de front, mais aussi à l’élimination progressive des unités de Kiev qui sont encerclées dans la « poche » de Debalstevo. Le principal problème tient à ce que les forces de Kiev doivent faire reculer leurs armes lourdes à partir de la ligne de front tandis que les insurgés doivent faire la même chose à partir de la ligne du 19 septembre 2014. L’idée semble d’avoir voulu donner satisfaction aux deux parties en présence et de créer une « zone tampon ». Mais, si l’on veut que cette zone tampon puisse remplir son rôle (et éviter de nouveaux bombardements ciblant les populations civiles des villes insurgées de Donetsk et Lougansk), il faudra impérativement qu’un corps d’observateur, susceptible de faire de l’interposition entre les deux adversaires soit créé. L’OSCE, qui est nommément désignée dans l’accord n’a pas les moyens de faire cela. De plus, sa légitimité pourrait être contestée. La seule solution stable serait la constitution de contingents de « Casques Bleus » des Nations Unis. Mais, une telle solution doit être acceptée par le gouvernement de Kiev et doit être validée par le Conseil de Sécurité, ce qui implique un accord des Etats-Unis. C’est ici que l’on mesure les limites de la solution Merkel-Hollande. De fait, les Etats-Unis sont aujourd’hui directement part du conflit. Ils doivent donc être associés à son règlement, ou montrer par leur attitude qu’ils ont fait le choix de la guerre. Tant qu’un cessez-le-feu stable, observé et vérifié ne sera pas en place, l’accord sera nécessairement des plus fragiles.

La question du statut des zones insurgées et la souveraineté de l’Ukraine

Mais, il y a d’autres raisons de penser que cet accord pourrait bien ne jamais être appliqué. Les termes de l’accord sont très clairs : un statut de grande autonomie doit être concédé aux insurgés et, sur cette base, le gouvernement de Kiev pourra recouvrer le contrôle de la frontière entre l’Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l’accord). Or, le gouvernement de Kiev a indiqué son refus d’envisager une « fédéralisation » du pays, dans le cadre d’une refonte de la Constitution, qui devrait être réalisée d’ici à la fin de 2015. De même, le Ministre de la Justice de Kiev, M. Klimkin, s’est déclaré être opposé à une amnistie générale2 . Or, cette amnistie est bien l’une des conditions de l’accord (article 5).

Très clairement, à l’heure actuelle, le régime de Kiev n’a nullement l’intention d’appliquer les clauses politiques de l’accord. Or, on comprend bien que si ces clauses ne sont pas appliquées, la guerre reprendra inévitablement, sauf si l’on s’achemine vers une solution de type « ni paix, ni guerre », ce que l’on appelle un « conflit gelé ». Cependant, une telle solution de « conflit gelé » n’est envisageable que si des forces d’interposition prennent position entre les belligérants. On est donc ramené à la question d’un hypothétique contingent de « Casques Bleus » et de ce fait à la question de l’insertion des Etats-Unis dans le processus d’un accord. On mesure ici, à nouveau, les limites de l’option prise par Mme Merkel et M. François Hollande. A vouloir prétendre que les européens pouvaient trouver sur leurs seules forces une solution à ce conflit, ils se sont enfermés dans une situation sans issue. La position discursive adoptée qui consiste à faire retomber la « faute » de la non-application sur la Russie s’apparente à une ficelle désormais trop grossière. C’est pourtant la voie vers on s’achemine, avec le renforcement des sanctions prises par l’Union européenne3 . Et cela d’autant plus que l’on voit désormais s’ouvrir des failles importantes au sein même du gouvernement de Kiev, très probablement à l’instigation si ce n’est des Etats-Unis, de forces américaines.

Vers un coup d’Etat à Kiev ?

Il faut, à cet égard, regarder de très prés ce que fait le dirigeant de « Secteur Droit », Dmitro Yarosh, l’un des groupes les plus extrémistes (et souvent ouvertement pronazi) de l’espace politique du pouvoir de Kiev. Ce groupe a été directement mis en cause dans le massacre de la place Maïdan4 . Ce personnage a un passé politique chargé, ayant été une sorte d’attaché parlementaire de V. Nalivaïtchenko, un député dont les liens avec le gouvernement des Etats-Unis sont bien connus. Yarosh a été blessé dans les combats de Donetsk. Le groupe qu’il dirige, tout en étant très minoritaire, est très influent dans la Garde Nationale et fournit nombre des combattants des « bataillons punitifs » de cette dernières. C’est là qu’il s’est lié à un oligarque ukrainien I. Kolomoisky5 . Ce dernier s’est constitué un véritable petit royaume privé à partir de Dniepropetrovsk, et surtout Odessa, d’où il finance plusieurs de ces « bataillons punitifs ». Les liens de Kolomoisky avec les Etats-Unis sont nombreux et importants.

Or, dès jeudi 12 au soir, Yarosh annonçait que son mouvement ne reconnaissait pas les accords de Minsk et qu’il comptait établir un « Quartier Général » parallèle à celui existant sous les ordres du Général Muzhenko. Ce dernier s’est attiré l’inimitié de Kolomoisky, qui cherche à le faire remplacer par l’un de ses hommes liges. L’important ici est que Kolomoisky ne s’est pas contenté de financer des bataillons punitifs de la Garde Nationale. Il a aussi recruté entre 400 et 900 mercenaires6 , par le biais des sociétés américaines de contractants militaires. Cela indique que, outre ses liens avec les Etats-Unis, Kolomoisky est désireux de se construire une puissance militaire, peut-être pas sur l’ensemble de l’Ukraine, mais certainement à l’échelle du Sud du pays. Cela implique, de son point de vue, que la guerre continue afin qu’il puisse lui continuer à se renforces.

Mais il y a un autre aspect de la question. Aujourd’hui le gouvernement de Kiev est politiquement divisé (Petro Poroshenko apparaissant à cet égard comme un relatif « modéré ») et surtout techniquement de plus en plus dépendant des Etats-Unis. Des « conseillers » américains occupent plusieurs étages dans les différents ministères. Compte tenu de l’histoire des liens entre Yarosh et les Etats-Unis, on ne peut exclure qu’il puisse représenter une menace de coup d’Etat, si d’aventure le gouvernement actuel devait s’opposer aux intérêts américains.

Ceci montre que les Etats-Unis, qu’ils livrent ou non des armes « létales » à l’Ukraine, sont d’ores et déjà partie prenante de conflit, et d ‘une certaine manière ont acquis une position déterminante dans le gouvernement de Kiev. Ceci expose clairement les illusions de Mme Merkel et de M. Hollande mais nous montre aussi que tant que les Etats-Unis n’auront pas donné leur assentiment explicite à un accord, ce dernier n’a aucune chance d’être respecté. Mais, peut-être peuvent-ils y être contraints.

La question économique

On le sait, l’Ukraine est virtuellement en faillite. Certes, le Fond Monétaire International a évoqué la possibilité d’un prêt de 17 milliards de dollars. Mais, cette somme, si elle est versée et ceci dépend de la réalité du cessez-le-feu, ne règlera rien. Au mieux, si elle est versée, elle assurera la stabilité financière de l’Ukraine jusqu’à la fin de l’année, pas plus. Cet argent ne remplacera pas une économie saine, et des relations commerciales importantes tant avec la Russie qu’avec l’Union européenne. Le futur de l’Ukraine dépend donc d’un accord entre russes et européens. Plus directement, la survie immédiate du pays dépend largement de l’aide consentie par l’Union européenne.

Ceci permettrait à l’Allemagne et à la France, si elles osaient parler clair et fort à Washington, de contraindre les Etats-Unis à s’engager de manière décisive dans le processus de paix. Sinon, l’ensemble du coût de l’Ukraine reposerait sur les Etats-Unis, et il est clair qu’en ce cas le Congrès se refuserait à financer de telles dépenses, qui pourraient d’ici les 5 prochaines années atteindre les 90-120 milliards de dollars.

La question économique est, peut-être, ce qui pourrait permettre d’aboutir à une application réaliste des accords de Minsk, à deux conditions cependant : que l’Allemagne et la France imposent leurs conditions à Washington et que ces deux pays sortent du jeu stérile et imbécile qui consiste à faire retomber, encore et toujours, la faute sur la Russie alors que l’on voit bien que les fauteurs de guerre sont ailleurs.

Par Jacques Sapir

Source originale ici

  1. Voir ici la déclaration finale des 4 dirigeants : http://interfax.com/newsinf.asp?pg=3&id=571367  []
  2. http://www.vesti.ru/doc.html?id=2351431  []
  3. http://top.rbc.ru/politics/13/02/2015/54dd2aec9a79475c523efc2e  []
  4. Katchanovski I., « The Separatist Conflict in Donbas: A Violent Break-Up of Ukraine? », School of Political Studies, Universitté d’Ottawa, texte préparé pour l’international conference “Negotiating Borders: Comparing the Experience of Canada, Europe, and Ukraine,” Canadian Institute of Ukrainian Studies, Edmonton, October 16–17, 2014 []
  5. Rosier R., « L’oligarque genevois qui défie Poutine », la Tribune de Genève, 30/05/2014, []
  6.  https://www.youtube.com/watch?v=TBAQJ_b6j8w  []
1 réponse
  1. JLD
    JLD dit :

    Bonjour à tous,

    Définition du mot « accord » : Etat des relations entre groupes qui n’ont de motif pour s’opposer en matière d’intérêts, d’idées…

    Or Merkel dépend toujours de la Russie en matière d’énergie et les Allemands ont investit massivement en Russie. La France n’a toujours pas livré les frégates à la Russie…

    Question: Que risque Poutine en cas de non-respect de l’accord ?

    Réponse: Rien !!!

    Dernière chose, pourquoi Poutine ferait confiance à Hollande sachant que ce dernier ne respecte même pas ses propres accords commerciaux…

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