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Le pétrole, source de la prochaine crise financière ?

Le pétrole est le sang de l’économie mondiale. Il n’y a qu’à voir pour s’en convaincre la proximité historique entre les crises pétrolières et les récessions économiques.

Aussi lorsque celui-ci corrige de plus de 60% en un peu plus de 6 mois, nombre d’intervenants se réjouissent de cette correction et y voient un espoir de mettre fin à la crise économique et financière. La baisse des coûts de l’énergie, en redonnant du pouvoir d’achat aux ménages et en réduisant les coûts de production des grandes entreprises agirait comme un électrochoc capable de relancer l’économie mondiale.

Mais la baisse des prix du pétrole n’arrange pas tout le monde. Les pays producteurs voient leurs revenus diminuer, ce qui réduit d’autant la création de richesse mondiale. Au final, un certain consensus semble se dégager, qui laisse entendre qu’une correction des prix du baril de pétrole de 20$ pourrait entraîner un surcroît de croissance de 0.20% de croissance mondiale par an. Intéressant… surtout quand on considère que le pétrole vient de perdre plus de 60$ !

Il est incontestable que la baisse des prix du pétrole a un effet bénéfique sur le revenu disponible pour les consommateurs américains. On estime ainsi que la correction d’un cent des prix à la pompe aux USA rend 1,5 milliard de dollars de pouvoir d’achat aux consommateurs américains. La baisse récente de plus de 1 dollar (à fin décembre) du prix des carburants aux Etats-Unis aurait ainsi rendu quelques 150 milliards de revenu disponible à la population américaine, soit environ 1% du PIB américain.

Ce qui n’est pas évident en revanche, c’est que ce revenu disponible soit systématiquement utilisé par les ménages pour consommer davantage. Ainsi, dans un contexte économique incertain, il n’est pas aberrant d’imaginer que les consommateurs décident d’augmenter leur taux d’épargne, plutôt que de profiter de l’effet d’aubaine. Cette nuance est essentielle, car factuellement, depuis le début des années 2000, chacune des phases de correction des prix du pétrole supérieure à 20% s’est soldée dans un premier temps par un recul des ventes de détail aux Etats-Unis. Et la dernière baisse entamée cet été n’échappe pas à la règle : les chiffres publiés début janvier font ressortir des ventes de détail en recul pour le mois de décembre et des révisions importantes pour le mois de novembre.

Selon un sondage de la chaîne de télévision CNBC, les américains ne sont ainsi que 8% à envisager de profiter de la baisse des prix à la pompe pour augmenter leurs dépenses de consommation. Le sentiment est généralisé, il touche toutes les classes d’âge.

Pour le reste du monde, le mouvement de dépréciation du prix de l’or noir a été concomitant avec une appréciation de la monnaie américaine par rapport aux autres grandes devises mondiales. Le gain de pouvoir d’achat des grandes nations consommatrices (Europe, Japon…) est donc limité d’autant.

Dollar_per_barrel_vs_dollar_index_value

A cela s’ajoute une fiscalité extrêmement élevée sur les produits pétroliers, qui atténue l’impact positif de la baisse des prix du pétrole sur les prix à la consommation. Ainsi, en France par exemple, la baisse de 35% du prix de l’or noir au 1er décembre ne s’était répercutée que par un recul des prix de 8,6% à la pompe. Certains pays, comme la France et la Chine, ayant également vu dans la correction en cours une bonne occasion d’ajuster leur politique fiscale sur les carburants (baisse des subventions en Chine et en Inde), l’impact positif sur la consommation est là encore réduit.

Côté entreprises, si celles-ci devraient profiter d’une baisse de leurs coûts de production, il n’est pas certain, compte tenu de la situation de la demande, qu’elles ne soient pas obligées de transposer en grande partie ces gains dans leurs prix de vente. Ce phénomène, s’il s’avère, pourrait transformer la désinflation dont souffrent les économies développées en déflation. Rappelons que les produits pétroliers représentent environ 10% des paniers servant au calcul de l’inflation dans les grands pays développés. Avec une baisse de 60% des prix depuis 6 mois, le mouvement en cours aura un impact sur l’inflation qui peut être de nature à retarder les décisions d’achat.

Mais le plus problématique est sans doute la situation des entreprises américaines du secteur énergétique. Celles-ci sont en effet touchées de plein fouet par la baisse du pétrole, et les conséquences pour l’économie toute entière peuvent être dramatiques. D’abord parce que ces entreprises ont des coûts de revient élevés. Le forage de pétrole de schiste est une technique beaucoup plus coûteuse que les techniques de forage conventionnelle. Que l’on parle de 50, 60 ou 70$ le baril, le coût d’extraction est bien supérieur à celui des pétroles conventionnels, qui sortent à moins de 15$ le baril pour l’Arabie Saoudite comme pour la Russie.

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Coûts de production, en $ par baril (source : IEA, Morgan Stanley, Seadrill)

Ensuite, car les forages de pétrole non conventionnels ont la particularité d’être des puits ayant une durée de vie très courte : ils donnent beaucoup de pétrole pendant peu de temps. Il faut donc sans cesse creuser de nouveaux puits. Cette technique est donc très consommatrice d’investissement. La conséquence est que les entreprises de ce secteur sont endettées, très endettées. Selon Deutsche Bank, les entreprises du secteur énergétique représentent à elles seules environ 16% du marché des obligations risquées à haut rendement aux USA. Toujours selon la banque, à 60$ le baril, la quasi-totalité de ces sociétés a un rapport entre sa dette et sa capitalisation boursière supérieur à 65%. La conséquence est que 30% de ces compagnies au moins pourraient se retrouver en faillite dans les deux ans, soit 5% du total du marché High Yield. Cela pourrait être d’une part pénalisant pour les entreprises, mais aussi pour les banques qui leur ont prêté.

D’autant que si la dette ne diminue pas, la capitalisation boursière de ces groupes elle, recule. Avec un pétrole qui s’inscrit pendant plusieurs mois en recul de plus de 30%, les sociétés n’ont d’autre choix que de revoir les quantités de réserves qu’elles peuvent récupérer, de même que la valorisation de celles-ci. La conséquence est une dépréciation des actifs de la société généralement accompagnée d’une défiance des investisseurs qui se traduit par un recul de la capitalisation. Ce phénomène est entre autre largement responsable de la très forte correction qu’ont pu connaître les actions minières aurifères ces dernières années.

L’autre élément inquiétant pour les Etats-Unis est l’impact que le ralentissement de l’investissement de ces entreprises pourrait avoir sur la croissance et l’emploi outre-Atlantique. Avec plus de 1000 milliards de dollars d’investissement qui pourraient être remis en question selon Goldman Sachs, et alors que les entreprises énergétiques représentent 30% du total des investissements des entreprises du S&P 500, il faudra compter sur d’autres secteurs pour que la croissance américaine puisse se maintenir. Rappelons que l’investissement des entreprises est l’une des composantes du calcul du PIB.

L’impact sur l’emploi est lui aussi à prendre en compte. Le développement des pétroles de schiste aux USA serait responsable de plus de 40% des créations d’emplois du pays depuis le début des années 2000. On peut donc craindre que ce soutien disparaisse et que les suppressions d’emplois qui ont déjà commencé, s’accélèrent et viennent contrebalancer les effets de la politique monétaire américaine.

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Dans un contexte économique encore convalescent, le pétrole pourrait donc être le déclencheur de nouveaux remous sur les marchés financiers. Au moment où les intervenants espéraient un début de normalisation des taux d’intérêts, la dégradation du secteur pétrolier pourrait obliger la banque centrale américaine à revoir ses anticipations de croissance, d’inflation et d’emploi et ainsi reporter une éventuelle remontée des taux d’intérêts. Cela voudrait dire que les marchés obligataires sont toujours ceux qui présentent le plus de potentiel pour 2015, et ce contre toute attente.

Quant au pétrole, ne nous y trompons pas : la baisse actuelle n’est pas la fin, mais le début de la hausse. Ceci nécessitera d’abord la sortie des acteurs les plus faibles, c’est-à-dire ceux ayant les coûts d’extraction les plus élevés que sont les producteurs de schiste américains et de sables bitumineux canadiens.

Ceci devrait prendre encore quelques mois, du fait des couvertures mises en place et d’un certain nombre d’impératifs techniques et réglementaires. Mais dans un marché où la production de pétrole conventionnel est en baisse depuis 2010, et où le taux de déplétion naturel est d’environ 5% par an, il nous faut trouver l’équivalent de 4 fois la production de l’Arabie Saoudite tous les 10 ans pour maintenir la production mondiale à son niveau actuel.

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Alors que la demande, elle, ne cesse de progresser avec le développement des marchés émergents, le manque d’investissement généré par la baisse actuelle des cours se traduira forcément par une remontée importante des prix, une fois ces ajustements terminés.

Par Benjamin Louvet

N’hésitez pas à venir débattre de ce sujet le 12 mai à Paris à notre conférence. Nos deux experts de la question Benjamin Louvet et Nicolas Meilhan seront là : inscrivez-vous gratuitement

5 réponses
  1. manucou
    manucou dit :

    Considerant les resultats du jour, cet «  » » »alignement des planetes » » » » serait donc un signe de mauvais augure.
    No comment…

    L’astrologie des joueurs compulsifs et des economistes revele une seule chose.
    Les fous ont pris possession de l’asile.
    Et des psychiatres devraient etre envoye d’urgence dans les banques centrales.

    La baisse du petrole devrait etre interprete comme une formidable opportunite pour faire la Transition Energetique veritable changement de paradigme economique.
    Ceci n’est pas a l’ordre du jour.

    Donc a suivre…

  2. Toto
    Toto dit :

    > Il est incontestable que la baisse des prix du pétrole a un effet bénéfique sur le revenu disponible pour les consommateurs américains.

    Ça dépend : s’ils se remettent à acheter des SUV plutôt que de rester avec des voitures type Europe/Japon, l’argent récupéré va continuer à repartir dans le Golfe.

    > Ce qui n’est pas évident en revanche, c’est que ce revenu disponible soit systématiquement utilisé par les ménages pour consommer davantage

    C’est intéressant : mieux vivre = consommer plus?

    Nous avons l’esprit tellement pollué par cette idée que nous n’arrivons même plus à en voir l’énormité, alors que ça fait longtemps que les psychologues savent qu’au dela d’un certain niveau de vie, le niveau de bonheur tel que rapporté par les gens cesse d’augmenter.

    Sans virer gauchiste back to roots, de toute façon, avec la raréfaction des ressources, il va bien falloir accepter de consommer de moins en moins.

    « Simplicité volontaire et décroissance », en quatre parties:
    http://www.youtube.com/channel/UCnKPylwJ0OnbmkH39t3jpiw/videos

  3. aboud
    aboud dit :

    merci pour cette explication mais quelles sont les solutions et les préventions proposées pour minimiser les effects de cette crise !

  4. David Petitjean
    David Petitjean dit :

    Est-ce si inquietant que ca? Je ne pense pas sachant que les americains sont actuellement en marche forcee pour remplacer toute leur consommation de petrole poids lourd par du GNL. Sachant que le transport mange 70% de la conso de petrole aux US et qu’ils ont des reserves pour des annees. La question du changement climatique est plus preoccupante avec le petrole pas cher qui menace le renouvelable dans le transport.

  5. François
    François dit :

    Après la chute des prix spot et la restructuration radicale du secteur pétrolier dans son ensemble en Europe et en Amérique du Nord. Les consommations des pays comme l’Inde, la Chine, l’Indonésie vont se maintenir (déjà cette hypothèse serait un exploit) et leurs taux de croissance seront proche de 0%. La part de ces pays (Ajouter le Brésil), va croître de manière relative. En valeur absolue, leurs importations vont croître fortement suite au déclin de l’extraction pétrolière chinoise ou brésilienne (comme pour les Etats-Unis après 1970). Les incertitudes sont très nombreuses (la baisse de consommation, les substitution pétrole-Gaz Naturel ou pétrole-charbon, et l’influence du solaire thermique) avec des ordres de grandeurs de marge d’erreur de quelques millions de barils de pétroles en plus ou en moins par an.

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