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Le porc, le gouvernement et l’Euro

La crise que connait la filière de l’élevage en France n’est que l’un des aspects d’une crise plus générale qui touche non seulement une partie de l’agriculture mais aussi les entreprises de taille moyenne qui leurs sont liées. Si cette crise a des dimensions spécifiquement « agricoles », elle traduit aussi les problèmes que provoque l’Euro et l’Union européenne dans l’économie française.

La crise de la filière porcine

Cette crise est en passe de devenir emblématique car elle rassemble à la fois des éléments très spécifiques de la culture rurale française et des éléments de compétition internationale (essentiellement avec l’Allemagne, l’Espagne et le Danemark). Les causes immédiates de cette crise sont en réalité multiples : il y a les « contre-sanctions » prises par la Russie en réponse aux sanctions prises contre des entreprises russes par les pays de l’Union européenne, une stagnation de la consommation de la viande de porc en France, mais aussi des problèmes spécifiques de compétitivité des fermes françaises. Ces problèmes méritent que l’on s’y arrête.

Les exploitations françaises ne sont pas rentables aux prix pratiqués par l‘Allemagne, le Danemark et l’Espagne pour plusieurs raisons. Il y a tout d’abord un problème général de la filière porcine, qui provient en partie de la taille des exploitations mais aussi (et surtout) du recours systématique dans la filière allemande aux « travailleurs détachés » qui sont payés (en salaires directs comme indirects) bien au-dessous des standards français. Vient ensuit, justement, le problème de la taille des fermes, mais cette dernière est en partie contrainte par la législation, législation qui a été prise en raison de la pollution que provoquent les exploitation porcines. Le lisier de porc est l’une des causes majeures de la pollution aux nitrates et de ses conséquences (le développement des algues vertes sur les côtes bretonnes). La législation contraint donc l’exploitant à aligner le nombre de bêtes de son exploitation à une superficie sur laquelle il peut épandre le lisier. La législation française n’est cependant pas la plus contraignante. La législation danoise est elle aussi très stricte. Une autre raison de la taille « modérée » des exploitations française est l’argument de la « qualité de vie » des animaux. Mais ici, si dans certaines exploitations les animaux sont bien élevés en plein air, dans d’autres, les conditions ne semblent pas très différentes de celles des « fermes-usines » qui existent en Allemagne et en Espagne.

Nous considèrerons le cas du Danemark comme spécifique. L’agriculture danoise s’est spécialisée dans la filière porcine depuis la fin du XIXème siècle, et elle exporte massivement sa production (vers la Grande-Bretagne mais aussi de nombreux autres pays). Les conditions d’efficacité de cette agriculture sont reconnues et les normes au moins aussi sévère qu’en France. Il est certain que les agriculteurs français auraient à apprendre de leurs confrères danois. Mais, ce n’est pas le Danemark qui est la cause de la crise en France. La concurrence allemande et espagnole est beaucoup plus sensible. Elle se concentre sur une question de coût.

Bigard-Socopa, Cooperl et les contradictions du gouvernement français

La crise de la filière française a pris une dimension nouvelle quand deux des principaux transformateurs français, la société Bigard-Socopa et la société Cooperl ont décidé de boycotter le marché de Plérin, dont les cours servent de référence. Le gouvernement français, qui est confronté à cette crise larvée de la filière depuis de nombreux mois avait décidé, en accord avec les autres intervenants, de faire remonter les prix de 1,25 euro le kg vers 1,40 le kg. Or, les deux sociétés qui ont rompu cet accord prétendent qu’elles ne peuvent être compétitives à ce prix, quand le porc allemand se vend entre 1,18 euros et 1,23 euros le kg. Le retrait de ces deux sociétés du marché a provoqué sa fermeture et mis en péril de nombreuses exploitations. La réouverture de ce marché qui s’est faite ce mardi 18 août s’est traduite par une chute des cours et une part importante de la production qui est invendue[1].

On notera ici une contradiction dans la politique gouvernementale. Le Ministre de l’agriculture appelle à une « concertation » pour faire monter les prix. Techniquement, c’est un accord de cartel, qui est interdit par la législation européenne. Cet accord implique que les principaux acteurs soient d’accord. Si deux acteurs, représentant 30% du marché font défaut, il ne pourra être tenu. Mais, les moyens du gouvernement de contraindre les acteurs d’acheter du porc à 1,40 euros le kg, quand ils peuvent se fournir en Allemagne à 1,23 euros le kg en moyenne, sont très limités. D’où les tergiversations de Le Foll, qui sait bien que s’il utilise des moyens contraignants il se fera censurer par Bruxelles. La différence de prix de 14% (ce qui économiquement est une différence importante) s’explique largement non seulement par la taille des exploitations allemandes (et espagnoles) mais aussi par l’utilisation d’une main d’œuvre à très bon marché, ce qui équivaut à un dumping social déguisé. A ce niveau, il n’y a pas de solutions. Si le gouvernement prend des mesures coercitives, il se met en contradiction avec les règles de l’Union européenne. S’il laisse la « loi du marché » jouer, cette « loi » va nécessairement avantager des systèmes productifs qui ne sont pas nécessairement plus performant que le système français, mais qui bénéficient soit de l’accès à une main d’œuvre à bas coût, soit de normes moins contraignantes, soit parfois des deux.

La faute à l’Euro ?

Imaginons maintenant que les pays de la zone Euro aient conservés leurs monnaies nationales. L’écart entre le Deutschemark et le Franc serait d’environ 20% à 25%. Cela signifie que si le porc était acheté en France à 1,40 francs le porc allemand vaudrait 1,48 francs toutes choses étant égales par ailleurs. Même en admettant que le prix des aliments soit plus important, il y aurait une quasi-parité du fait du décalage des taux de changes entre le porc allemand et le porc français.

On pourrait aussi imaginer que, dans le cadre de l’Euro, on applique exactement les mêmes règles, tant sociales qu’environnementales, en France et en Allemagne. C’est ce qui se passerait si nous ne formions qu’un seul pays. Mais, on sait bien que l’Allemagne n’est pas prête à transiger sur sa législation sociale ni même sur un certain nombre de normes environnementales. Dans ces conditions, la « loi du marché » ne peut que produire les désordres auxquels on assiste. Car soit la concurrence est dite « libre » et elle est faussée par des distorsions de réglementation mais aussi de situations entre les pays, soit elle est dite « non faussée » et dans ce cas elle n’est pas libre et inclut des mécanismes compensatoires pour corriger justement ces distorsions. Mais, l’idée d’une « concurrence libre et non faussée » est une contradiction dans les termes. Or, c’est bien sur cette notion que repose largement le « marché unique » européen.

Ce que l’on a démontré avec le porc vaut aussi pour la viande de bœuf, la volaille, et pour le lait. Dans la mesure où une activité agricole est de plus en plus intégrée dans une filière de transformation les différences de réglementation, de situation aussi, vont avoir un effet de plus en plus important sur le coût final du produit. On dira que c’est ce qui s’est produit en France même quand les marchés régionaux ont été mis en concurrence les uns avec les autres avec le chemin de fer. C’est indiscutablement vrai. Mais, des mécanismes de compensation ont été mis au point, qu’il s’agisse de subventions à la transformation des exploitations (et il est vrai que l’on ne cultive plus de blé en montagne alors que c’était encore le cas au XIXème siècle) ou de mécanismes de soutien au cours des matières premières, comme l’Office Interprofessionnel des Céréales (ex-Office National Interprofessionnel du blé[2]) mis en place sous le gouvernement du Front Populaire.

Un discours contradictoire

En attendant, il est clair que le gouvernement tient un discours profondément contradictoire. D’un côté, il appelle à « consommer français », ce qui est très exactement le discours du Front National sur ce point. De l’autre, il ne se donne pas les moyens, en particulier en matière de réglementation quant à l’étiquetage des produits pour que les français puissent connaître de manière sure et sans risque la provenance réelle des produits qu’ils consomment. Il ne le fait pas car il est engagé dans une logique de négociations, que ce soit dans le cadre de l’UE ou dans le cadre de traités hors-UE (comme le fameux TAFTA avec les Etats-Unis), qui impliquent au contraire qu’i y ait une banalisation de l’origine réelle des produits.

Ce discours contradictoire ne pourra plus être tenu très longtemps. Entre la logique du « grand marché », qui implique une standardisation des produits au détriment des conditions de production de ces derniers et une logique plus maîtrisée des activités agro-alimentaires, il faudra choisir. On peut penser que le choix du gouvernement est fait en réalité, et ce choix va à l’opposé tant des intérêts des producteurs que de ceux des consommateurs. De ce point de vue, le rôle de l’Euro est indiscutable car il organise une fausse homogénéité (par le prix) et permet la mise en concurrence de produits qui sont en réalité issus de conditions de production très largement différentes. Derrière, et dessous, la crise de l’agriculture et des filières animales, nous retrouvons bien le rôle très pervers de l’Euro.

Par Jacques Sapir

Article original sur le blog russeurope

[1] http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/08/18/porc-la-cotation-reprend-mais-le-malaise-persiste_4728923_3234.html

[2] Loi du 15 août 1936, et décrets d’application du 26 août 1936. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000301350&categorieLien=id Voit aussi : http://www.lafranceagricole.fr/archive/article/la-naissance-de-l-office-du-ble-FA31521017958.html

3 réponses
  1. emmanuel
    emmanuel dit :

    Brutale et violente accélération de l’histoire.

    Saturation du Marche Chinois des Smartphones, saturation du marche automobile, fin de la bulle immobilière, surcapacités industrielles, bulles de dettes: la liste est longue.
    Et la consequence de tout ceci c’est un ecroulement durable du prix de toutes les matieres premieres.
    A présent la Chine qui a fait le choix du Capitalisme occidental est rattrapée par toutes ses déviances.
    On peut parler je pense d’insolvabilité absolue d’un modèle de croissance; insolvabilite aussi bien financière qu’environnementale.

    Et les tensions géopolitiques dans cette région du monde ne cessent de croitre sur fond d’un potentiel de croissance qui se relativise a l’échelle monde.
    Cette région est dans tous les sens du terme une poudrière. La nouvelle poudrière des Balkans de ce debut de 21eme siecle.

    Et rien ne va plus dans l’ancien monde.
    Et les planches a billets impriment des trillions de monnaie de singe contribuant dans l’absolue a n’amener que plus d’entropie et de chaos a la période entre deux mondes dans laquelle nous sommes.
    Et nos dirigeants aspirent toujours au paradigme des 30 glorieuses qui s’est achève il y a 40 ans.
    Paradigme des 30 glorieuses pour lequel a présent c’est acté il n’existe plus aucun levier a des fins de le régénérer.

    Ils espèrent que l’inflation monétaire va amèner de l’inflation des prix qui leur permettra d’éroder leurs stocks de dettes accumules depuis 40ans.
    Seulement voila plus les planches a billets tournent vite, plus toutes les économies s’enfoncent dans la lowflation.
    Et de plus soit dit en passant reflater les économies ne peut dans l’absolue qu’appauvrir les consommateurs et donc n’avoir qu’un effet négatif sur la croissance.

    Mon analyse est faite.
    C’est la fin d’un monde.
    Et les 30 glorieuse c’est à présent définitivement termine.
    Et il va falloir le gérer.
    Que vat on faire de toutes nos « surcapacites industrielles sous lesquelles nous croulons » ?

    Pour gerer la periode entre 2 mondes dans alquelle nous sommes, il nous faudrait resoluement d’autre dirigeants.
    Ceux qui nous dirigent sont dans l’absolue autiste en quelque sorte, et font preuve d’une hypocrisie à peine voilée.
    Ils soutiennent en effet dans l’absolue avec leur expérimental monétaire l’économie de rentes et la rente de rentier.
    Une économie de rente et des rentiers qui sont ravis de l’absence d’inflation qui ne pese que sur les actifs.

    A force d’autisme, et d’occulter ce qu’est la transition majeur qui vient, nos dirigeants nous précipitent vers une crise terminale.

    Ceux qui dirigent le PCC sont des cadres de l’armée. S’il y a perspective de ralentissement économique vraiment violent et irréversible, et durable, ils feront tout pour empêcher une nouvelle longue marche. La Chine ne restera pas l’empir du milieu.

    Et la situation du marche ce gigantesque casino : et bien continuez à faire vos jeux, des a présent rien ne va plus…
    Le Casino va fermer boutique définitivement par exemple quand la BOJ annoncera la fin de son QE.

  2. passant
    passant dit :

    sont drôles ces entrepreneurs agricoles, ils luttent contre toute idées environnementaliste depuis des années, incités en cela par la FNSEA, ils soutiennent cette même FNSEA qui ne veut plus de  »petites exploitations », quand certaines filières se rebellent contre la sur règlementation inadaptée, ils les traitent de bouseux, …
    Et quand c’est leur tour de se faire broyer (ce qui était annoncé par les  »bouseux »), ils se re-plaignent encore. Il n’y a pas de crise de la filière porcine, c’est l’évolution normale de la politique agricole soutenue très largement par la FNSEA.
    Très exactement comme il n’y a pas de crise du capitalisme, dans la  »finance », le problème se pose exactement de la même manière, après avoir tondu à peu près tout le monde la  »haute finance » s’attaque aux petits rentiers (qui ne trouvent plus de quoi gagner les miettes qui les rendaient si fiers). Quand les écarts de salaire dans les entreprises deviennent irréels, les écarts de revenus entre le petit épargnant et la haute finance s’agrandissent aussi, et quand le gros est sûr de son fait, il s’attaque aux petits soldats qui maintenaient le système en place.

    Ces  »crises » sont la validation de l’analyse de la société en classes sociales. Le retour sur terre est difficile pour ceux qui ont crus appartenir à la classe supérieure et qui sont renvoyés d’un revers de main à leur condition de bouseux. Les entendre maintenant tenir les pires discours gauchistes (les  »paysans » en appellent quand même au contrôle des prix par l’état, et lui demande d’obliger les acheteurs à acheter à leur tarif !! Le PCC ne renierait pas telle injonction.), c’est à mourir de rire. Comme entendre les  »soit disant libéraux d’aujourd’hui » en appeler à la moralisation de la finance.

  3. geoffrey
    geoffrey dit :

    je repondrais donc en passant – acceleration de l’Histoire, en effet
    les larbins du Systeme (agriculteurs sous subsidies, fonctionnaires nommes a vie, petits patrons dynamiques…) commencent a avoir du mal a finir leurs mois, et de douter des vertus du Systeme
    « il faut etre pris pour etre appris », disait ma grand-mere
    comment tout cela va-t-il finir?
    geoffrey – communiste belge

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