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Pétrole : pourquoi les prix remontent malgré l’échec de Doha ?

A l’issue de la réunion des pays producteurs de pétrole à Doha, le 17 avril dernier, l’absence d’accord a laissé craindre une lourde correction des prix. Il n’en a rien été, les prix progressant de plus de 10% depuis. Quelles sont les raisons qui expliquent une telle hausse, alors même que les principaux pays producteurs se livrent à une guerre de parts de marché les amenant à produire au maximum de leurs capacités ?

C’est d’abord un problème d’interruptions imprévues de capacités de production en cascade qui a emmené le marché vers de nouveaux plus hauts récents.

Ensemble des interruptions de production pétrolières, en milliers de barils par jour

Source : Reuters, Platts, Goldman Sachs Investment Research

Ensemble des interruptions de productions pétrolières, en milliers de barils par jour

Chronologiquement, la première raison a été l’annonce d’une grève majeure des employés du secteur pétrolier au Koweït, pour protester contre des réductions de salaires en raison de la baisse des prix de l’or noir (lire ici). La production a plongé de 60% en quelques heures, passant ainsi de 2,8 à 1,1 millions de barils, le lendemain de la réunion de Doha. Mais cette grève n’a pas duré et, trois jours après, les employés reprenaient le travail et la production remontait progressivement (lire ici).

C’est ensuite la situation au Venezuela qui est venue inquiéter les marchés. Le pays, touché par le phénomène météorologique El Niño, a vu ses capacités de production électrique fortement réduites (lire ici). Afin de profiter au maximum de la manne pétrolière, le pays a en effet décidé de faire reposer l’essentiel de sa production électrique sur les énergies renouvelables, et notamment sur la production hydro-électrique. Le barrage de Guri, en particulier, produit près du tiers de l’électricité du pays. La baisse à un niveau critique de la retenue d’eau du barrage, a obligé le gouvernement à limiter la consommation d’énergie. Celui-ci a même décidé de la semaine de 2 jours pour les fonctionnaires ! La production pétrolière pourrait gravement en pâtir, de même que la production de produits raffinés. Selon Philippe Verleger, elle pourrait déjà avoir baissé de 300 à 400 000 barils par jour (lire ici).

Début mai, c’était ensuite au tour du Canada d’inquiéter le marché. Les incendies de forêts géants qui ont touché la région de Fort Mc Murray ont obligé à l’arrêt d’une grande partie de la production de pétrole de la région (lire ici). Au  total, ce sont aujourd’hui plus d’un million de barils de production quotidienne qui manquent à l’appel et, alors que l’on espérait une reprise rapide, les dernières évolutions de la direction de l’incendie laissent à penser qu’une capacité de production de 1,2 millions de barils par jour pourrait rester hors service pour plusieurs jours (lire ici).

Enfin, c’est surtout aujourd’hui la forte dégradation de la situation au Nigéria qui maintient la pression haussière sur les cours de l’or noir. En à peine quelques semaines, un groupe de rebelles qui se fait appeler les justiciers du delta du Niger, a réduit la production pétrolière du pays à 1,4 million de barils par jour (lire ici). La production du pays est ainsi à son plus bas niveau depuis 27 ans, ce qui le prive de son rang de premier producteur africain, au profit de l’Angola. Les trois plus gros terminaux pétroliers du pays sont notamment aujourd’hui à l’arrêt.

Après être restés calmes pendant plusieurs années au terme de négociations avec les autorités, les militants n’ont pas apprécié la campagne récente anti-corruption menée par le gouvernement. Le nouveau président élu l’an passé refuse en effet de continuer à acheter leur silence, promettant de les traiter comme « on traite avec Boko Haram » (lire ici). Les rebelles, de leur côté, promettent de mettre l’économie du pays à genoux et ont menacé les compagnies étrangères si elles n’arrêtaient pas leur production dans les deux prochaines semaines. Les interruptions pourraient donc se prolonger, voire prendre encore de l’ampleur…

Production pétrolière du Nigéria (au 15/05/2016)

Source : OPEP, Bloomberg

Production pétrolière du Nigéria

La production libyenne reste quant à elle toujours aussi erratique, évoluant au gré des conflits entre les différentes autorités en place. C’est aujourd’hui le port d’Hariga qui est bloqué, menaçant d’interrompre totalement la production d’ici un mois (lire ici).

Enfin, des opérations de maintenance prévues en Mer du Nord le mois prochain devraient réduire la production de la zone pour le quatrième mois consécutif.

L’ensemble de ces éléments cumulés a permis de totalement rééquilibrer l’offre et la demande de pétrole. En l’absence de capacités excédentaires de production importantes, l’ensemble des pays tournant à plein régime, ce rééquilibrage pourrait durer.

Dans le même temps, on constate également une hausse plus importante que prévue de la consommation pétrolière. L’Agence Internationale à l’Energie a ainsi revu à la hausse la consommation du premier trimestre, à 1,4 millions de barils par jour, et prévient que si la demande doit être révisée à l’avenir, ce sera probablement à la hausse (lire ici). La demande est notamment tirée par la Chine, mais aussi l’Inde, qui devient le marché où la croissance de la demande est la plus forte. La demande d’essence est également en forte hausse sur tous les principaux marchés. En cause, entre autre, la reprise des ventes des véhicules de grosse cylindrée, plus gourmands en carburant.

Consommation pondérée des véhicules aux USA, en miles par gallon

Source : University of Michigan

Consommation pondérée des vehicules aux USA en miles par gallon

Note : la baisse des prix du pétrole à partir de 2014 a entraîné une baisse du nombre de miles parcouru avec un gallon d’essence. Les américains se sont tournés vers des véhicules plus consommateurs.

Enfin, c’est la multiplication des faillites de sociétés pétrolières aux USA qui fait craindre une accélération de la baisse de production outre-Atlantique. Alors que les faillites en 2015 concernaient un total de dettes de 17,5 milliards de dollars, on en est déjà à plus de 26 milliards cette année (lire ici et ici). La situation devient de plus en plus intenable pour les compagnies, et la remontée récente n’y change rien. Si elle peut résoudre la problématique de la production à venir, elle ne rend pas plus supportable le poids de la dette passée. Qui plus est, l’essentiel des gains de productivité enregistrés par les compagnies pétrolières étant lié à la renégociation des contrats de services, la remontée des prix du pétrole risque de renchérir ces mêmes postes. D’autant que les deux années difficiles qui viennent de s’écouler ont fortement réduit la taille et le nombre des sociétés spécialisées dans ce secteur.

De plus, la baisse rapide de production liée à l’exploitation des pétroles de schiste (pour rappel, un puits de pétrole de schiste perd 70% de sa production après 12 à 18 mois) laisse augurer une possible accélération de la baisse de production. En effet, la forte baisse du nombre de forages aux USA ces derniers mois devrait logiquement être suivie, dans les 12 à 18 mois, d’une baisse comparable dans la production. Le graphique comparant la production au nombre de foreuses en activité, décalé de 18 mois, est en cela assez inquiétant pour la production américaine (voir graphique suivant). Si l’existence de puits forés mais non complétés (DUC) peut partiellement limiter la chute, l’ampleur de la baisse des forages est telle qu’une accélération semble inévitable.

Aussi, si les prix sont sans doute remontés un peu rapidement après la réunion de Doha en raison d’interruptions inattendues de production, même un retour opérationnel progressif de ces capacités ne garantit pas un retournement des prix du pétrole à la baisse. Le recul de la production pétrolière américaine devrait en effet prendre le relai, permettant au pétrole de poursuivre sa marche vers un niveau de 60$ le baril en fin d’année, qui reste notre prévision.

Production pétrolière américaine et nombre de foreuses en activité, décalé de 18 mois

Source :Zerohedge

Production pétrolière américaine et nombre de foreuses en activité

Par Benjamin Louvet

1 réponse
  1. Philippe
    Philippe dit :

    Vous n’allez pas assez loin dans votre réflexion. Sachant que le conventionnel est en chute de production de l’ordre de 5% par an depuis 2006, qu’envisagez vous pour fin 2016 et ensuite avec une telle chute de production ?
    Au mieux et au pire, qu’on ait une échelle de la catastrophe qui s’annonce…

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