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Ben Bernanke se réincarne en « l’homme aux placements judicieux »

Et il fallait être ô combien « judicieux » pour savourer la séance du 2 septembre 2016 !

Une séance qui constitue un de ces révélateurs de comment les marchés fonctionnent, à l’instar du rideau numérique verdâtre de la trilogie « Matrix » se déchirant par accident durant quelques brefs instants.

Wall Street venait d’aligner ce jour là une 40ème séance de stagnation au sein d’un corridor 18.250/18.600.

Une 40ème séance de camisole algorithmique qui se conclut également sur un score final inférieur à 1% en valeur absolue.

Et surtout une 38ème séance sur 40 qui s’achève par un écart inférieur à 0,5%.

Le Dow Jones, le S&P500 et le Nasdaq ont grappillé +0,4% et affichaient une progression hebdomadaire voisine de +0,5%… un véritable fiasco indiciel en regard du prodigieux rallye de +2,65% sur le CAC40 et de +2,7% sur l’euro-Stoxx50.

En outre, les indices US en terminaient presque exactement sur leurs niveaux du fixing d’ouverture (à 15H31), après avoir failli repasser négatif à 2 heures de la clôture (le Dow Jones ne gagnait plus que 0,1% vers 19H45).

Nulle euphorie outre-Atlantique en réaction aux chiffres mensuels de l’emploi (NFP) contrairement à certaine places européennes -et Paris notamment- ou le score fleuve constaté à 17H25 (+2,45%) flirtait avec l’hystérie haussière (car au même moment, Wall Street progressait d’à peine 0,4%, soit 6 fois moins fortement).

 Les statistiques de l’emploi publiées vendredi semblent éloigner le scénario d’une remontée des taux d’intérêt dès ce mois-ci : la probabilité déjà faible de 24% chuta de moitié en quelques minutes, pour retomber à 12% selon le baromètre « Fedwatch ».

Les marchés obligataires faisaient la même interprétation, avec une clôture quasi inchangée sur les T-Bonds à 1,6% (contre 1,58% la veille et 1,63% une semaine auparavant… et 1,60% le 15 juillet, mais aussi les 5, 8, 21 août dernier).

Cette interprétation « dovish » des marchés n’a manifestement pas plu à Jeffrey Lacker -patron de la FED de Richmond- qui s’est empressé d’affirmer que même si le marché du travail a ralenti, des pré-signaux inflationnistes (il doit posséder un détecteur ultra-sensible) exigent que la FED resserre sa politique monétaire.

Seul John Hatzius, l’un des stratèges les plus influents de Goldman, semblait partager vendredi soir le point de vue de Mr Lacker.

Il s’agirait donc d’une hausse « politique » qui choisit de passer outre tous les voyants qui clignotent en rouge sur le tableau de bord économique US et mondial.

Notamment l’effondrement du volume de marchandises qui s’échangent sur la planète depuis 18 mois, c’est à dire depuis que les pays exportateurs de pétroles ont vu leur pouvoir d’achat se désintégrer dans le sillage de l’or noir.

L’ex-patron de la FED, Ben Bernanke ne se prononce pas sur l’urgence -ou l’absence d’urgence- d’une hausse de taux, mais il prône lui aussi un biais « dovish » en recommandant de maintenir le bilan (les encours) de la FED à son niveau maximum.

Ceci implique de « remplacer » (en rachetant des T-Bonds et autres instruments de dette) les emprunts arrivant à expiration, soit un montant estimatif de 450Mds$ par an.

Ben Bernanke est devenu en 2016 l’économiste le mieux payé du monde avec 95 millions de $ de revenus encaissés sur les 12 derniers mois, soit un doublement par rapport aux 12 mois précédents.

Il aurait par ailleurs engrangé 250Mns$ depuis qu’il a quitté la FED grâce à des « placements boursiers judicieux ».

C’est une façon originale de définir un enrichissement sans risque, par le biais d’un délit d’initié permanent… gagner à tous les coups semble cependant fastidieux à la longue: il trouve le boulot d’économiste « moins fun » qu’auparavant et songe à arrêter sa carrière.

Il n’est pas évident d’avoir tous les jours envie de sortir de son lit pour participer à un déjeuner avec des financiers ennuyeux (moyennant un chèque de 150.000$).

Mais bon, supposons qu’il soit effectivement très clairvoyant et que sa rémunération soit à la hauteur de ses facultés de compréhension des phénomènes économiques : à l’issue de la séance du 2 septembre, 2 questions me brûlaient les lèvres.

La 1ère concerne les chiffres de l’emploi: j’aimerais comprendre comment, après révision à la hausse de +20.000 par rapport à juillet (à 275.000), se matérialise une différence abyssale de +100.000 emplois par rapport au score calculé par Challenger/ADP.

Comment un tel écart de +56% entre 2 entités dotés des meilleurs outils de collecte de l’information, observant au même moment le même marché du travail est-il possible ?

Comment « helicopter Ben » expliquerait-il par ailleurs une subite contraction de -124.000 (soit -55%) du nombre de jobs recensés à un mois d’intervalle alors qu’aucune autre statistique d’aucune sorte n’a traduit de ralentissement comparable, ni dans le secteur des services, ni dans l’industrie, ni dans la sphère de la parasitocratie des fonctionnaires qui prolifèrent à Washington, en anticipation de quelques bouleversement après le 8 novembre.

Ma seconde question portera sur la « grande divergence » du 2 septembre.

Comment le CAC40 a t’il réussi le 2 septembre à progresser 6 fois plus vite que les indices US à 17H30 et 10 fois plus vite 2 heures plus tard, dans le sillage de la publication du « NFP » ?

Si le prétexte de ce rallye d’une ampleur plus observée depuis 8 semaines (il faut remonter au 8 juillet dernier), c’était « de mauvais chiffres de l’emploi américains repoussant une hausse de taux aux calendes grecques », comment se fait-il que cela n’ai pas d’abord euphorisé Wall Street qui a le plus à y gagner ?

Et si les acheteurs se sont montrés si « enthousiastes », comment les volumes ont ils pu se contracter à Paris (de 3,15 vers 3,05MdsE) par rapport à la séance de jeudi où les indices -privés de tout stimulus majeur- avaient fini en léger repli ou à l’équilibre (CAC40 affichant in extremis +0,03%) ?

Plus bluffant encore, le CAC40 est passé de +1,5% alors que le S&P500 grappillait +0,5% et il a accéléré à +2,5% (+110Pts à 4.548) alors que les indices US réduisaient leur avance à tout juste +0,4%, avant de se dégrader encore davantage.

Si Ben Bernanke m’affirme qu’il peut nous fournir des explications logiques et limpides, je propose que les Econoclastes ouvrent une souscription auprès de nos membres et followers pour réunir la somme qu’il jugera adéquate pour nous délivrer ses éclairages.

Parce que vous tous qui nous lisez avez certainement très envie de réaliser des « placements boursiers judicieux »: si les conseils du prédécesseur de Janet yellen nous permettent de miser sur une envolée du CAC40 quand -sur la base des mêmes stats US- le Dow Jones patine, alors ils justifient effectivement un prix élevé.

Partant de ce que j’ai pu constater au 1er degré ce fameux 2 septembre, j’en suis réduit à valider des raisonnements qui impliquent le concours de tripatouillages indiciels massifs, la mise en oeuvre prémédité d’un véritable « get-happens » algorithmique… un véritable bras d’honneur lancé à la face de quiconque cherche à établir un lien entre l’actualité économique, les anticipations qui en découlent, et les performances du marché.

Les chiffres de l’emploi publiés le vendredi 2 septembre sont ils bons ou mauvais, personne n’en savait rien fondamentalement.

Mais les indices européens se sont chargés de penser à la place des opérateurs, en vertu du principe de « la queue qui remue le chien »: si les cours grimpent donc c’est bon… ne cherchez pas à comprendre pourquoi.

Et même si ça ne l’est pas, il n’y a pas d’autre alternative que de suivre aveuglément le mouvement, sous peine de se faire complètement larguer par le sacro-saint « benchmark ».

L’absence de volumes amplifia une panique à la hausse savamment orchestrée.

Une manoeuvre facilitée par l’absence militante des vendeurs dans le marché, et même de ceux dont la stratégie se bornait à « hedger » les excès du marché, un phénomène qui s’exacerbe depuis l’été 2012 et qui se traduit par un effondrement historique des volumes et de la volatilité depuis le 14 juillet dernier.

Il n’y a plus personne pour contester une hausse -même absurde- impulsée par les banques centrales et appliquées avec un zèle absolu par les banques systémiques qui constituent leurs relais sur les marchés.

Mais il n’est de pire aveuglement que celui qui procède de l’illusion de la rationalité, quand ceux qui s’en font les champions s’inspirent d’une « pensée magique ».

Jusqu’à preuve du contraire, je la résumerai par : « ce qui compte, ce n’est pas la réalité mais celle que le prix des actifs est censé refléter ».

Philippe Béchade

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