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Le jihad est dans l’ADN de l’Arabie Saoudite

Selon Pierre Conesa, interviewé par le journal Sud-Ouest, la volonté de réforme du prince héritier épargnera les religieux, qui continueront à exporter le salafisme, la version la plus rétrograde de l’islam.

Les femmes peuvent désormais conduire à Riyad. Y a-t-il quelque chose de changé au royaume des Saoud?

Elles ont aussi obtenu le droit d’assister à des matchs de football! Ce sont des mesures anecdotiques destinées à l’étranger. Il n’existe pas de monitrices d’auto-école pour les former et elles ne peuvent pas sortir sans être accompagnées par un tuteur. Et comment feront-elles pour conduire le visage entièrement voilé? Tout cela a un côté absurde.

Pourtant, on ne peut pas nier que cela bouge en Arabie saoudite?

Politiquement, c’est une année importante. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) est parvenu à marcher sur la tête de son cousin, Mohammed Ben Nayef, héritier désigné. Il s’est fâché avec une branche importante de la famille, les Sultan. L’ex-ministre de la Défense, décédé en 2011, a occupé la fonction pendant quarante-neuf ans et a signé tous les contrats d’armement. Dans le cadre d’une rafle anti-corruption, le chef de la garde nationale, les ministres des Finances et de l’Économie, des dirigeants de la compagnie pétrolière Aramco, du géant du bâtiment Ben Laden ou du groupe Ogier (famille Hariri) ont été arrêtés. MBS a essentiellement tapé sur des princes et des hommes d’affaires. Les religieux ont été épargnés, hormis ceux qui avaient tenté il y a quelques années d’initier un mouvement de réforme.

Comment décryptez-vous cela?

Mohammed Ben Salmane est en train d’asseoir son pouvoir. La lutte qu’il prétend engager contre la corruption n’est pas forcément mal perçue par les classes moyennes et populaires, qui ont le plus souffert de la baisse des revenus du pétrole. Mais s’attaquer à la corruption signifie viser les privilèges de 10 000 princes et leurs affidés. Chacun a sa clientèle, redistribue une part de ce qu’il perçoit sous forme d’hôpitaux, d’écoles et d’aides en tout genre. C’est tout un système qui est remis en cause. Et cette opération mains propres pourrait avoir un effet boomerang en France, d’où sont forcément parties les commissions lors de la signature des marchés militaires.

Le partage des rôles entre la famille régnante et les religieux peut-il s’en trouver modifié?

Le prince héritier est sans doute partisan d’un islam un peu plus ouvert. Mais il n’a pas intérêt à ouvrir ce front au moment où il engage un bras de fer avec les différentes branches de la famille Saoud. Il se fragiliserait s’il initiait une opération d’épuration contre les religieux. En Arabie saoudite, la religion tient la justice, l’éducation, la culture. Chaque fois que le pays connaît une crise, la hiérarchie religieuse en sort avec davantage de pouvoir. En 1991, lors de la guerre du Golfe, le Conseil des Oulémas a fourni au régime une excuse théologique pour justifier le passage des soldats américains impies sur la terre sacrée du Prophète. En contrepartie, les cinémas ont été interdits.

L’étau religieux sur la société civile n’est pas près de se desserrer?

Le salafisme, le retour aux pratiques des pieux ancêtres, imprègne la société: prières quotidiennes, prohibition des autres cultes, interdiction de l’innovation, guerre sainte (djihad) contre les mécréants. Les jeunes apprennent tout cela dans les écoles, où les cours de religion représentent le tiers des heures d’enseignement. C’est la geste nationale. Le djihad est dans l’ADN de l’Arabie saoudite.

Beaucoup de Saoudiens ont pourtant fait leurs études à l’étranger?

Il existe une élite moderniste. Chez eux, ils font le ramadan, se fondent dans le moule. Mais en privé ou à l’étranger, ils s’affranchissent des préceptes du Coran. C’est une société totalement schizophrène mais qui offre bien des avantages à ceux qui ne la contestent pas: la rente pétrolière permet à beaucoup d’avoir un revenu sans travailler. Mettre les Saoudiens au boulot, comme souhaite le faire MBS, ce sera compliqué.

Pourquoi l’Arabie saoudite a-t-elle exporté son idéologie religieuse?

Cette diplomatie religieuse, dont le bras armé est la Ligue islamique mondiale, est née dans les années 60 pour diffuser le panislamisme et s’opposer au panarabisme promu par l’Égyptien Nasser. L’université de Médine, créée pour contrer l’influence de sa rivale al-Azhar au Caire, a formé des dizaines de milliers de cadres religieux partis prêcher le salafisme dans leurs pays respectifs, où des capitaux saoudiens financent lieux de culte et écoles coraniques. Dans les cinq ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, les Saoudiens ont construit 2 000 mosquées en trente ans.

Cette diplomatie revêt-elle partout les mêmes formes en Occident?

Dans les pays communautaristes (Canada, Grande-Bretagne), la Ligue islamique mondiale revendique les mêmes droits pour les musulmans que pour les autres communautés, en insistant sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs du pays d’accueil. Au Canada, à un moment donné, les tribunaux islamiques ont même été tolérés. Dans des pays non communautaristes comme la France, la Ligue appuie des structures destinées à culpabiliser l’opinion sur ses soi-disant comportements islamophobes.

Peut-on dire du salafisme que c’est une pensée totalitaire?

Un théologien musulman de mes amis l’a défini comme la version «la plus raciste, sexiste, homophobe, misogyne, antisémite et sectaire de l’islam». Sur le plan des idées politiques, le salafisme est un totalitarisme religieux qui légitime la violence. Quand on examine le profil des auteurs d’attentats commis en France et en Belgique, on voit que beaucoup d’entre eux viennent d’îlots salafistes constitués à Toulouse, Strasbourg ou aux Buttes-Chaumont à Paris.

L’Arabie saoudite a souvent été accusée de financer le terrorisme.

Si on entend cette accusation au sens d’aides publiques directes, c’est non. Mais il existe beaucoup de fondations caritatives, voire de particuliers richissimes, qui donnent des fonds en croyant financer des pèlerinages ou des écoles religieuses et dont l’argent est finalement détourné. Les auteurs pakistanais des attentats de Bombay en 2008 (163 morts) étaient proches d’une organisation venant en aide aux déshérités qui recevaient des dons saoudiens à l’occasion du pèlerinage à La Mecque.

 

1 réponse
  1. Peter K
    Peter K dit :

    Un pays a vitrifier, et s’approprier toutes ces richesses, fonds, banques, avoirs, avec cela faire un fond d’aide au victimes de l’islam.

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