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L’aérien zéro carbone dès 2050 ? « C’est tout bonnement impossible »

Nicolas Meilhan a été interviewé par Marianne pour analyser l’annonce du secteur aérien d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

L’Association internationale du transport aérien (IATA), lobby qui revendique 290 compagnies membres, a annoncé vouloir atteindre l’objectif zéro carbone d’ici 2050 grâce aux carburants durables, aux progrès électriques et au développement des puits de carbone. Pour Nicolas Meilhan, expert énergie et transport, une telle annonce est aujourd’hui plus de l’ordre de la campagne marketing que du possible. Explications.

Simple communication pour rassurer les gouvernements et continuer le business as usual ou véritable engagement réalisable ? Lundi 4 octobre, 290 compagnies aériennes membres de l’Association internationale du transport aérien (IATA) – dont des poids lourds comme American Airlines, Air France, Emirates ou Lufthansa – se sont engagées à atteindre « zéro émission nette de CO2 » d’ici à 2050 pour lutter contre le réchauffement climatique mais surtout pour « assurer la liberté de voler des générations futures », a plaidé le directeur général de l’association, Willie Walsh.

Pour cela, ils comptent sur les carburants durables, les avancées technologiques comme les aéronefs électriques ou à l’hydrogène, mais aussi sur la capture de carbone et des mesures de compensation. Mais peut-on vraiment y croire, d’autant que la crise sanitaire a mis bon nombre de ces compagnies dans le rouge ?

Marianne : Quelle est la responsabilité de l’avion dans les émissions de CO2 ?

Nicolas Meilhan : L’aviation représente 3 % des émissions du total mondial. C’est environ 12 % des émissions liées au transport contre 74 % dues aux camions, aux bus et aux voitures. La raison est simple : en distance totale, les humains utilisent beaucoup plus le transport routier.

Mais il faut insister sur deux choses. D’abord, avec le développement du marché et la baisse des prix, notamment due aux compagnies low-cost, les émissions provenant de l’aviation internationale ont augmenté de près de 130 % en vingt ans. C’est énorme. Ensuite, il faut rappeler qu’au kilomètre, l’avion est le mode de transport qui pollue le plus. Par exemple, en prenant l’avion, vous allez émettre 258 grammes de CO2 par kilomètre contre 158 si vous utilisez une voiture non électrique et 14 si vous prenez le train.

L’innovation technologique et le développement de l’avion électrique ou à hydrogène pourraient-ils permettre d’atteindre le « zéro émission nette de CO2 » d’ici à 2050 ?

Oui mais encore faudrait-il que ces technologies existent, soient fonctionnelles et qu’elles inondent rapidement le marché. Pour le premier aspect, des projets sont en cours. L’un d’eux, développé par Airbus, s’appelait l’e-Fan, un avion de 500 kg, qui a depuis été arrêté. Je rappelle qu’un A380, c’est plusieurs centaines de tonnes, donc ce genre d’engins, très léger, va mettre beaucoup de temps à être opérationnel. Ensuite, il y a l’avion à hydrogène, comme le programme ZEROe d’Airbus, qui envisage la mise en service de ce type d’avions en 2035.« Pour que la totalité des avions soient « propres » en 2050, il faudrait déjà qu’ils soient opérationnels et mis sur le marché dès aujourd’hui. »

Sauf que pour faire de l’hydrogène, il faut beaucoup d’énergie. Une étude réalisée par des chercheurs toulousains montre que pour faire voler à l’hydrogène liquide tous les avions qui ont atterri à l’aéroport de Roissy en 2018, il faudrait 10 000 à 18 000 éoliennes ou 16 réacteurs nucléaires. Presque impossible donc. Et enfin, je précise qu’il faudra entre 25 et 30 ans pour renouveler entièrement le parc aéronautique. C’est-à-dire que pour que la totalité des avions soient « propres » en 2050, il faudrait déjà qu’ils soient opérationnels et mis sur le marché dès aujourd’hui. C’est donc tout bonnement impossible.

Malgré l’impact d’une augmentation des puits de carbone ?

Vous voulez dire planter des arbres et jouir de puits de carbone artificiels ? Alors que nos forêts retiennent de moins en moins de carbone, en rejettent même à cause des incendies de plus en plus fréquents, et que la déforestation, notamment pour produire du biocarburant, s’intensifie ? Ce n’est pas sérieux.

Il faut protéger nos forêts oui, mais elles ne permettront pas de régler à elle seule le problème. Concernant les puits de carbone artificiels, il est difficile de penser qu’ils pourront un jour accueillir l’intégralité du carbone émis par les avions.

Donc cette annonce n’a aucune valeur selon vous ? Cela veut-il dire que nous devrons, en tant que consommateur, moins voler et que les compagnies aériennes sont vouées à disparaître ?

Oui, cet objectif n’a aucune chance d’être atteint, ce n’est qu’une annonce marketing. Nous allons devoir voler autrement, par vidéoconférence par exemple. C’est une bonne façon de voler propre. Pour que les populations puissent continuer à se déplacer il faudra développer d’autres stratégies de déplacement comme le train de nuit qui permet d’éviter des trajets en avions mais aussi de taxer le kérosène.

Enfin, les compagnies aériennes sont-elles vouées à disparaître ? Ce qui est certain c’est que dans trente ans, au vu des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, des changements de comportements et surtout l’épuisement des ressources notamment du pétrole et l’augmentation des prix, elles ne seront plus autant sur le marché et qu’il y aura moins de vols disponibles.

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