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Pétrole: la production américaine en question.

A l’heure où les prix du pétrole sont repartis à la hausse, le débat fait rage pour savoir si cette reprise pourrait n’être qu’un feu de paille ou si elle est le début d’une remontée durable des prix de l’or noir vers la barre fatidique des 100$ le baril.

Outre le risque que font peser sur les cours les positions record des spéculateurs à l’achat (lire ici), la question qui se pose aujourd’hui est celle de la production pétrolière. A l’heure où les producteurs de l’OPEP ne cessent d’augmenter leur production en poursuivant une stratégie d’acquisition de parts de marché, entraînant un surplus d’offre important, le marché est remonté sur l’idée que la production américaine allait, elle, amorcer son déclin.

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Avec une division par deux du nombre de forages outre-Atlantique, l’administration américaine prépare l’opinion à un ralentissement accru de la production américaine dans les prochains mois. Mais, dans le même temps, les producteurs de pétrole de schiste ont commencé à évoquer leur capacité à reprendre leur production avec des taux de croissance à deux chiffres, si les prix de l’or noir devaient se stabiliser un peu au-dessus des niveaux actuels (lire ici). On a d’ailleurs pu constater sur la partie longue de la courbe à terme des prix de l’or noir, que les opérations de couverture de production par les compagnies pétrolières avaient massivement repris. Alors, qui croire ?

Nouvelle variable d’ajustement de la production mondiale de pétrole en raison de son coût élevé et de la rapidité avec laquelle la production de pétrole de schiste peut être réduite,  la production américaine a rarement représenté un tel enjeu. Et son estimation est un exercice périlleux.

C’est ce qu’a mis en évidence la publication ce mois-ci de la note d’analyse d’un des plus anciens consultants du secteur pétrolier. Philip K. Verleger, Jr, ancien conseiller pour les questions d’énergie des présidents Ford et Carter, en appelait même au licenciement du président de l’Agence Américaine à l’Energie (EIA) dont il criait l’incompétence (lire ici).

Le débat est né du fait que la production pétrolière américaine n’est pas « mesurée », mais « estimée ». En réalité, l’EIA se base sur les données fournies par les Etats, plutôt que sur un sondage auprès des producteurs. Si, historiquement, l’agence gouvernementale a la possibilité de mener ses propres enquêtes, le grand nombre d’acteurs et leur hétérogénéité ont amené celle-ci à se contenter, pour réaliser leurs statistiques, des chiffres collectés par les Etats pour la collecte des taxes et la régulation des forages. Le problème est que ces chiffres ont un délai de publication extrêmement important. En moyenne, plus de neuf mois de décalage entre la collecte et la publication de l’information ! Le Texas, qui représente plus du tiers de la production américaine, met ainsi 29 mois en moyenne pour publier ses chiffres définitifs, avec des écarts pouvant aller jusqu’à 40% entre la publication initiale et le résultat définitif…(pour plus de détails, lire ici)

Sur un marché où, comme au Texas, la production peut évoluer très rapidement du fait de la capacité des pétroles de schiste à rapidement adapter la production au prix de marché, un tel retard peut vite être problématique…Aussi quand, dans son papier, Mr Verleger a fait état d’une production américaine qui serait en réalité 1,6 millions de barils par jour inférieure à ce qui est publié par l’EIA, le monde du pétrole s’est interrogé… Est-il possible que la production réelle soit 15% inférieure à ce qu’annonce l’administration ?

Le suspens n’aura pas duré longtemps. Le lendemain de sa publication, Mr Verleger a dû publier un erratum et présenter ses excuses (lire ici), avouant qu’une simple erreur de signe dans la transcription d’une formule (pour faire simple, partant de a = b+ c , il était arrivé à la conclusion que b = a + c …) était à l’origine de son erreur et que la production américaine était en réalité probablement légèrement supérieure aux publications officielles.

Quoi qu’il en soit, ce déboire aura eu le mérite de poser le problème et de montrer l’impérieuse nécessité de faire évoluer la méthode d’évaluation. L’EIA n’a d’ailleurs pas tardé à réagir en annonçant qu’elle lancerait, comme elle le fait déjà sur le gaz, son propre sondage pour estimer la production, comme son statut l’y autorise. Elle collectera ainsi, dans 20 états, les informations relatives aux volumes produits, mais aussi sur la qualité du pétrole. L’agence estime qu’en interrogeant les 600 intervenants les plus importants, elle peut collecter les informations relatives à 85% de la production, sans assommer les petites entreprises pétrolières avec une paperasse inutile. Les entreprises disposant d’un délai de 40 jours pour retourner les informations, la qualité des informations disponibles devrait nettement progresser.

En attendant, la véracité des chiffres de l’EIA n’étant plus mise en doute, le marché continue de s’interroger sur l’avenir des pétroles de schiste. Si, à court terme, la disponibilité d’investissements à la recherche de rendement devrait permettre aux sociétés opérant dans les pétroles de schiste de trouver des financements, reste à savoir si les fracklogs sont aussi prometteurs que ce que certains disent et si la main d’œuvre qualifiée pourra rapidement être remobilisée si les compagnies souhaitent augmenter leur production… (lire ici) La pression baissière pourrait néanmoins reprendre, d’autant que les hedge funds sont prêts, à la moindre alerte, à réduire leurs énormes positions sur l’or noir et déclencher une baisse des prix.

A plus long terme en revanche, l’issue reste toujours aussi probable. En l’absence d’innovation technologique majeure, le taux de déplétion moyen de 5% par an des champs pétroliers à travers le monde fait qu’il faut mettre en exploitation 45 nouveaux millions de barils tous les dix ans pour ne serait-ce que maintenir la production mondiale au niveau actuel. C’est aujourd’hui plus que la production de l’Arabie Saoudite, de la Russie, des Etats-Unis, de la Chine et du Canada !

Production Pétrolière par pays, en 2014 (Source : EIA)

20150520-EIA Map

 

Et si les pétroles de schiste sont une solution à court terme, le problème reste entier à plus longue échéance. Il ne faut pas oublier que les réserves prouvées de pétrole de schiste sont actuellement, aux dires même de l’EIA, de 10 milliards de barils, soit 2 ans de consommation américaine ou… à peine 3 mois de consommation mondiale.

Rédigé par Benjamin Louvet, Directeur Général Délégué de Prim Finance.

 

 

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