BFM du 15 octobre 2015 – Mouvement de transition mondiale

Pierre Sabatier

Mouvement de transition mondiale : Pierre Sabatier Vs Guillaume Dard

Les marchés sont en pleine interrogation : la FED va-t-elle un jour remonter ses taux, puisqu’elle parle de reprise de croissance des Etats-Unis alors que les derniers indicateurs américains publiés mercredi sont décevants ? Le plan Draghi va-t-il être cassé et l’augmentation du QE européen aussi ? Qu’en est-il de la remontée de l’euro par rapport aux autres devises ?

De plus, s’ajoute à tout cela le fait que l’inflation est très peu élevée. Cependant, comme l’explique Pierre Sabatier, ce phénomène de hausse des prix extrêmement faible repose sur le fait que le monde actuel est « rentré en 2008 dans un mouvement de transition ». Nous passons d’un « environnement d’expansion naturelle […] à un environnement où l’expansion sera plus faible, voir proche de la stagnation. »

La cause de cette évolution est d’ordre structurel, et non conjoncturel, pour un certain nombre de pays dont font partie les pays européens. « Vous savez qu’une population qui vieillit est une population naturellement qui consomme moins d’un point de vue agrégé. Or, dans les pays riches, deux tiers de la richesse créée, que ce soit : aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne, en France ou au Japon, reposent sur ces dépenses des ménages. »

La conséquence est donc simple : moins de consommation des ménages, donc moins de croissance, donc moins d’inflation. « Rappelons que l’inflation ça ne se décrète pas. L’inflation c’est le décalage entre une demande qui augmente, [donc de la croissance], et le temps nécessaire pour pouvoir répondre à cette demande. » Il en découle donc un constat très simple : les politiques monétaires actuelles, les Quantitative Easing (QE), ne peuvent pas créer d’inflation, hormis de l’inflation monétaire qui n’est pas celle recherchée.

« La réalité de l’économie américaine c’est que, bien entendu elle va mieux que beaucoup d’autres endroits dans le monde, mais aujourd’hui les niveaux de croissance sont très loin de légitimer ni une hausse des taux, ni les niveaux d’inflation. »

Pour notre Econoclaste, « les politiques de Quantitative Easing sont […] de la préemption d’obligations d’Etat. » En effet, ces dernières reposent sur l’achat de ces obligations d’Etat, ce qui prive les investisseurs institutionnels (tels que des fonds de pension ou des assureurs) des actifs qu’ils ont l’habitude d’acheter en majorité pour verser un rendement à leurs clients. Cela explique donc le basculement de ces investisseurs sur les marchés d’obligations d’entreprise, puis sur les marchés actions quand les autres sont saturés, et par conséquent la hausse de ces derniers.

Etant donné que ces marchés actions sont le poste final de tous les flux financiers à l’heure actuelle, à cause de ces politiques de QE et de taux 0, il en résulte, pour reprendre Guillaume Dard, que nous nous trouvons « dans un monde sans gravité ». Cela explique la très forte volatilité des prix des actions. A chaque publication d’entreprise, les investisseurs sur-réagissent dans un sens comme dans l’autre. Cela est, par ailleurs, amplifié avec l’utilisation des algorithmes de trading analysant ces publications à des vitesses phénoménales, provoquant une amplification de ces mouvements de hausse et de baisse (cf. les interventions répétées de Philippe Béchade sur le sujet).

« Il y a déjà beaucoup de mauvaises nouvelles qui sont déjà intégrées dans les cours. »

La grande question, souligne Pierre Sabatier, pour ces marchés financiers est la suivante : « est-ce que nous sommes à la veille de la fin du cycle bénéficiaire que nous avons vécu au cours des dernières années ? Si oui, là effectivement vous pourriez être inquiets sur les niveaux de valorisation actuels. Si non, et nous croyons que nous ne sommes pas encore à la fin du cycle bénéficiaire, on a encore de l’espace. »

« La Chine ralentit depuis 2012 ». La prise de conscience brutale sur le ralentissement de l’économie chinoise, au vu des indicateurs présents pour en dénoter, est surprenante pour Pierre Sabatier, qui dès 2012 prévenait de ce ralentissement dans son livre La Chine, une bombe à retardement. Le meilleur de ces indicateurs est d’ailleurs « le prix des matières premières » (qui hors pétrole décroît depuis 2012) puisqu’il faut savoir que la Chine consomme plus de 50% des matières premières mondiales.

Ce qui a joué entre autre, sur ce ralentissement chinois, est le fait que le modèle économique de ce pays est basé sur les exportations et l’investissement. Or il s’avère que pour exporter, il faut une demande interne dans les autres pays, et que cette dernière a décliné depuis 2008. Il est donc normal que ce pays ralentisse puisque le changement de modèle économique prôné par le gouvernement chinois, c’est-à-dire le passage d’un modèle d’exportations et d’investissements à un modèle de consommation par les ménages du pays, n’a pas encore eu lieu (la consommation des ménages chinois représente 35% du PIB alors que dans tous les autres pays développés, l’ordre de grandeur est de 65%).

« La question de fond est : comment arriver à solvabiliser le marché intérieur chinois ? »

La raison pour laquelle le modèle économique chinois n’a pas encore évolué est simple : la masse salariale en Chine n’a pas augmenté. Elle est restée à 40% de la richesse créée, alors que dans les pays développés nous sommes dans les 65%. La conséquence semble simple : 65% du PIB provient de la consommation pour une masse salariale à hauteur de 65% du PIB dans les pays développés, donc s’il n’y a que l’équivalent de 40% du PIB de masse salariale en Chine, le pays ne pourra pas aller plus haut que 40% du PIB en terme de consommation.

« La véritable problématique, est une problématique politique : est-ce que le gouvernement acceptera de franchir ce pas [de l’augmentation des salaires] ? » S’il le fait, le pays tombera en récession pour la raison suivante : « dans une économie en surcapacité de production, il faut laisser mourir tous les acteurs qui ne sont pas capables de supporter une augmentation des salaires. » Or, le pouvoir en place à « un deal implicite » avec sa population : je vous apporte suffisamment pour que vous ne remettiez pas en cause ma légitimité à gouverner.

L’enjeu chinois est donc de taille, puisque si « le premier contributeur à la croissance mondiale depuis 15 ans » tombe, alors les conséquences pour une quantité de pays seront lourdes, et notamment « les pays producteurs de matières premières ». En effet, lorsque les prix des matières premières ont été aussi élevés pendant des années grâce à ce « consommateur boulimique », les pays qui en profitaient ont accumulé des excédents courants (c’est-à-dire des flux d’argents provenant d’échanges internationaux) et se retrouveraient soudainement privés de ces derniers, ce qui impacterait donc énormément leurs économies.

« Nous rentrons dans un marché de stock picking. »

Au vu de tous ces nuages noirs, les actifs financiers à privilégier semblerait-il, sont : les actions, tant que les banques centrales maintiennent des politiques de QE, mais aussi les obligations d’entreprise (à condition de ne pas choisir Volkswagen). Quoi qu’il en soit, si les banques centrales se décident à arrêter leurs QE, les valeurs boursières devront être sélectionnées une par une (stock picking) pour s’assurer de protéger son portefeuille. En effet, pendant des années il a été possible « au regard de la surliquidité mondiale de ne pas valoriser le risque ». Maintenant, cette période tend à se terminer.

Rédigé par Raphaël Becanne

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