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À la fin, c’est les gentils qui gagnent…

Ce mois, je me suis assis devant mon PC et j’ai expérimenté le syndrome de la page blanche. Pendant vingt secondes. Cela fait dix ans que j’écris des chroniques et autres articles pour différents médias et jamais je ne m’étais retrouvé aussi longtemps face au doute, face à l’incapacité de trouver le moindre sujet à aborder. Croyez-moi, vingt secondes, c’est très long. Et puis, j’ai tourné le regard vers un vieux tas de journaux qui traînaient dans un coin, à côté de la cheminée, et mes yeux se sont arrêtés sur un numéro “spécial investigation-vous-saurez-tout-sur-les-Panama-Papers”.

Voilà. J’avais trouvé mon sujet.

Evidemment, à moins d’avoir été pendant trois semaines sur une île déserte à tenter votre chance pour le dernier jeu télévisé à la mode consistant à manger des crabes pour survivre, vous ne pouvez pas avoir raté LE SUJET CHOC – le poids des mots et le choc des photos, comme disait un journal très connu dans l’hexagone. Vous ne pouvez pas avoir raté le scandale du siècle, un succès planétaire pour le journalisme d’investigation et les grands reporters de la planète entière. J’ai nommé : les Panama papers.

Il se trouve que, par le plus grand des hasards, il y a eu comme une fuite dans l’un des paradis fiscaux parmi les mieux gardés à la surface du globe. Tout à coup, des milliers de journalistes se sont retrouvés noyés sous 11.5 millions de documents laissant entendre qu’il y aurait – ô surprise – des gens (riches pour la plupart) qui continueraient d’utiliser des sociétés offshores pour planquer leur argent à l’étranger.

Moi, ce qui m’étonne d’abord, c’est que seuls des riches aient des structures offshores et que pas un chômeur de longue durée n’ait eu la présence d’esprit de monter une opération pareille. Ensuite, je dois vous dire que je suis très étonné de la surprise exprimée par les médias du monde entier. Vous, je ne sais pas, mais moi, ça fait vingt-cinq ans que je navigue dans ce milieu. Si j’ai appris une chose, c’est que l’argent est fait pour être dépensé, qu’il ne profite qu’aux riches et que plus il y a d’argent, plus il est facile de trouver des solutions. Et puis n’oublions jamais : pour que les paradis fiscaux existent, il faut que l’enfer fiscal existe. Et il existe, l’enfer fiscal.

Donc, depuis que les Panama papers ont fuité, tous les journalistes de toutes les rubriques, de tous les journaux du monde sont devenus de grands reporters, les Tintin du reportage sur le terrain, les Lois Lane de la finance. Depuis le début du mois d’avril, nous avons droit tous les deux jours à une double page qui hurle au scandale et qui égrène les noms des “méchants contribuables”.

Vous l’aurez compris, en ce qui me concerne, je ne suis pas surpris, mais alors pas la moindre, de ce que l’on apprend sur les comptes panaméens. En revanche, là où je suis surpris, c’est que personne (ou très peu de monde) prenne la peine d’expliquer en détail qu’avoir une offshore au Panama, ce n’est pas forcément pour voler le fisc et rouler le contribuable.

Bon, d’accord, c’est souvent pour se planquer, mais pas que pour ça.

Je suis également surpris que l’on ne se pose pas plus de questions sur le fait qu’il n’y a pas un seul Américain dans cette liste. 11.5 millions de documents et pas un seul Américain dans le tas. Alors oui, j’oublie tout le temps que l’Américain de base est fondamentalement honnête et qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de frauder le fisc un seul instant.

L’Américain, lui, il paie ses impôts en avance et en chantant l’hymne national. L’Américain est gentil. Et si vous ne me croyez pas, il vous suffit de regarder n’importe quel film au cinéma, au cinéma hollywoodien de préférence. Vous verrez que dans le film, l’Américain est le gentil et qu’à la fin, il gagne. A contrario, le Russe est méchant et à la fin, il tombe du 64e étage.

Non seulement il meurt, mais en plus il perd.

Tout ça pour vous dire que je ne suis pas un adepte de la théorie du complot. Mais quand je vois que la Suisse abandonne le secret bancaire et que dans la foulée, une bonne partie des clients non-déclarés partent aux Etats-Unis parce que là-bas on pose moins de questions, j’ai tout de même l’impression qu’on nous prend pour des billes. Et quand je vois qu’on tape sur le Panama et qu’aucun “journaliste d’investigation” ne mentionne les structures opaques du Delaware (un Etat américain), je me dis qu’on a abusé des séries US et qu’on a fini par croire que les Américains sont vraiment les gentils.

2 réponses
  1. Pierre
    Pierre dit :

    Les gentils (alias les vainqueurs) écrivent l’histoire…enfin le story-telling comme on dit maintenant

  2. Hergé
    Hergé dit :

    A moins que l’économie Etats Uniennes soit tellement inspirée de sa culture Hollywoodienne pour terminer comme dans Telma et Louise … A suivre

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