,

Or et taux d’intérêt : les leçons de l’histoire…

Même si, avec leurs politiques monétaires ultra-accommodantes, les banques centrales des pays développés ont réussi à stabiliser la situation économique, force est de constater que la reprise reste timide et fragile. Pour tenter d’améliorer la situation, Harley Bassman, directeur général adjoint chez PIMCO (l’un des plus importants gérants d’actifs au monde), a proposé récemment une solution passée inaperçue : que la réserve fédérale américaine (FED) rachète l’or des américains… sur la base d’un cours de 5000 dollars l’once (lire ici) ! Rappelons que l’once d’or cote aujourd’hui autour de 1250 dollars l’once.

Si cette idée peut paraître saugrenue sur le papier – son auteur la présente d’ailleurs comme un conte de fées qui n’arrivera probablement jamais – elle fait en réalité écho à une page de l’histoire américaine, et pas n’importe laquelle : l’utilisation de l’or pour la résolution de la crise de 1929.

Dans les années qui ont suivi la crise de 1929, le PIB américain s’est contracté de près de 43%. En réaction, la FED a commencé à intervenir sur les taux d’intérêt, qui ont été progressivement abaissés jusqu’à des niveaux proches de zéro, pendant que des mesures non conventionnelles étaient adoptées.

Niveau des taux d’intérêt aux Etats-Unis de 1926 à 1947, en %

Source : Bank of America Merril Lynch, Bloomberg

taux d'interet us 26 47

L’une des mesures non conventionnelles phare de cette époque fut la décision en 1933 du président nouvellement élu Franklin D. Roosevelt de promulguer une loi ordonnant la confiscation de l’or des américains. Le texte (Executive order 6102, lire ici) rendait illégal la détention d’or par les citoyens américains qui dès lors, devaient ramener leur or à leur banque, sous peine de 5 à 10 ans de prison ou de 10 000 $ d’amende (ou les deux). C’est à cette occasion qu’une grande partie des 8000 tonnes du stock d’or actuel du gouvernement américain a été constituée (voir graphique page suivante). C’est aussi à cette fin que Fort Knox, le principal lieu de stockage de l’or de la FED aux Etats-Unis, a été construit. Le précieux métal leur était racheté à sa valeur officielle, soit 20,67 $ l’once. Le cours de l’or était en effet fixé à l’époque à la suite du Gold Standard Act de 1900.

En réalisant cette opération, le but de la FED était double. D’abord, le Federal Reserve Act de 1913 stipulait que le montant des billets émis par la FED devait être couvert à hauteur de 40% par les détentions d’or. A la fin des années 20, la limite d’émission de billets était presque atteinte. La FED, en augmentant ses stocks d’or s’assurait de pouvoir augmenter la masse monétaire en circulation. Ensuite, en rendant illégal la détention d’or, la FED s’assurait également que personne ne pourrait demander à le récupérer et ainsi la contraindre à limiter ou à réduire sa création monétaire.

Réserve d’or du gouvernement américain, en tonnes

Source : BullionStar.com, WGC

reserve d'or us

A la suite de cette opération, la FED ayant désormais les mains libres, réalisa ce que l’on peut sans doute considérer comme l’une des plus grandes dévaluations compétitives de l’histoire. Au terme du Gold Reserve Act de 1934, elle passa en effet la parité de change de l’or de 20.67 à 35 $ l’once ! L’or a commencé à largement affluer des pays étrangers, entraînant une forte création monétaire en dollars, d’où une forte dévaluation du billet vert, une baisse des taux d’intérêt, une hausse des prix et, de ce fait, une hausse de la consommation intérieure et extérieure. Durant les 3 années qui ont suivi, de 1934 à 1936, le PIB américain a ainsi progressé de 48%, tandis que le Dow Jones s’envolait de près de 80%.

Si la mise en place d’un tel programme de rachat par la FED peut paraître inenvisageable aujourd’hui, il est vrai qu’il y a encore quelques années personne n’imaginait la mise en place de taux négatifs. L’impact inflationniste serait immédiat, et la transmission à l’économie réelle, les achats étant directement réalisés auprès des particuliers, beaucoup plus simple qu’avec les plans de « quantitative easing » opérés par les Banques centrales au cours des années passées…

Reste à savoir si une telle solution pourrait nous permettre de sortir de la situation économique et de la problématique de la dette qui est celle des pays développés aujourd’hui. A ce titre, la suite de l’histoire de la crise de 29 est instructive, en particulier à l’heure où la FED se pose la question de remonter à nouveau ses taux d’intérêt en juin… En 1936, à la suite des effets bénéfiques sur la croissance du « plan Roosevelt » et des opérations de quantitative easing réalisées par la FED, la crise est contenue. La banque centrale décide alors d’amorcer son resserrement monétaire, aidée en cela par la décision outre-Atlantique de la France et de la Suisse de dévaluer leur monnaie. Le « tightening » prend la forme d’une remontée des ratios de réserves réglementaires, visant à réduire le crédit. La première hausse intervient en août 1936 et reste sans effet majeur sur le marché. Début 1937, l’économie semble toujours solide, les marchés actions restent bien orientés, de même que la production industrielle. L’inflation frôle les 5%. Ce qui amène les autorités monétaires à amorcer un second puis un troisième resserrement des conditions de crédit en mars, puis en mai 1937.

Mais à l’issue du second resserrement, les taux courts s’envolent de 0,1 à 0,7%. Les ventes d’obligations s’accélèrent et les taux longs remontent rapidement également. Le secrétaire d’Etat au Trésor, Henry Morgenthau, furieux, demande à la FED de répondre à la panique en réalisant des opérations de rachat d’obligations (ce que l’on appelle aujourd’hui « quantitative easing »).

Marinner S. Eccles, alors président de la FED, répond à Morgenthau : équilibrez le budget du pays et augmentez les impôts pour commencer à rembourser la dette. Eccles, s’inquiète en effet de l’augmentation du bilan de la FED, qui atteint alors 20% du PIB américain (à titre de comparaison, il est aujourd’hui d’un peu plus de 25% du PIB US).

Dans les deux années qui suivent, de 1937 à 1939, la bourse américaine corrige de 49%. Puis la seconde guerre mondiale éclate. On ne retrouvera les niveaux de 1937 que 10 ans après, une fois le conflit terminé.

Dow Jones Industrial, de 1926 à 1947

Source : Bank of America Merril Lynch, Bloomberg

dow jones industrial 26 47

Gageons donc que les autorités américaines connaissent cette page de leur histoire, et qu’elles sauront en tirer les leçons pour le resserrement de politique monétaire en cours… D’autant que les autres banques centrales, elles, comme en 1936, poursuivent leurs politiques accommodantes.

Par Benjamin Louvet

2 réponses
  1. Collapse
    Collapse dit :

    Juste une précision, à cette époque, niveau ressources l’humanité ne manquait de rien.
    Aujourd’hui, il serait impossible de faire repartir l’économie, car elle buterait sur des fondamentaux autres que ceux de la bourse ou d’une création monétaire.
    Le peak all, tout simplement.

    Il va falloir s’y habituer, les 30 glorieuses c’était avant.
    Plus le temps passe, plus nous nous en éloignions et nous dirigeons en terre inconnue.
    Un seul conseil, préparez-vous.
    Mieux vaut tard que jamais.

  2. Lincoln
    Lincoln dit :

    Actuellement… et désormais pour toujours, la seule monnaie
    couvert par l’or est le Rouble.

Laisser un commentaire

Participez-vous à la discussion?
N'hésitez pas à contribuer!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *