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L’or et les Banques centrales

Jusque dans les années 30, l’étalon or constituait le système monétaire de référence. Pour asseoir la crédibilité des papiers monnaies, la banque centrale s’engageait alors à assurer à tout moment la conversion en or des billets en circulation, à une parité fixée à l’avance.

En réalité, il ne s’agissait pas là d’une vraie couverture mais plus d’une garantie car au 19ème siècle notamment, l’obligation était systématiquement levée dans les temps difficiles. Ce fut le cas par exemple en Angleterre, où le Peel’s Bank Act a été maintes fois suspendu pour permettre à la banque centrale d’agir en tant que prêteur en dernier ressort. Ce fut également le cas pendant les périodes de crises, comme la première guerre mondiale. C’est ce qui a fait dire au philosophe anglais Bertrand Russell que « une garantie purement juridique, comme l’étalon-or, ne garantit rien en période de stress, et est inutile le reste du temps ».

L’or a servi à asseoir la crédibilité des monnaies même si la garantie qu’il apportait était soumise au risque politique

Quoi qu’il en soit, dans l’instauration du papier monnaie, la certitude de pouvoir revenir à tout moment à l’or était un moyen d’assurer la confiance, afin que les investisseurs soient certains que les gouvernements n’allaient pas simplement imprimer des billets pour financer leur budget…

Progressivement l’or est passé au second rang comme étalon de référence. Après les accords de Bretton Woods en 1944 et jusqu’à leur suppression en 1971, la simple promesse d’échanger les dollars à un taux fixe à la demande d’une banque centrale suffisait à rassurer sur la solidité du système financier. Puis, la réserve fédérale américaine (FED) a mis fin à la convertibilité du dollar, et il est rapidement apparu qu’un système monétaire fiduciaire pouvait fonctionner sans référence à l’or, en s’appuyant sur un engagement clair des banques centrales de maintenir la stabilité des prix et de contenir l’inflation.

L’engagement des banques centrales à contrôler les prix a peu à peu rendu l’or secondaire.

Avec l’habitude de recourir aux monnaies fiduciaires (du latin « fiducia », la confiance), l’or n’a donc plus de raison objective de figurer au bilan des banques centrales. C’est d’ailleurs sans doute ce qui a amené certaines d’entre elles entre 1971 et la fin de la décennie 2000 à se débarrasser d’une partie de leurs stocks d’or. Certaines ont même jugé utile de limiter leurs ventes par un accord (Central Bank Gold Agreement), afin de ne pas trop peser sur le marché.

Achats d’or par les banques centrales, en tonnes

Source : World Gold Council, 2015

Achats d’or par les banques centrales, en tonnes

Il n’y aurait donc plus d’utilité aujourd’hui pour les banques centrales de posséder de l’or, dénué de tout rôle dans le système financier international. Et pourtant, depuis maintenant plus de 6 ans, les banques centrales sont devenues nettes acheteuses d’or. Alors que les banques centrales des pays développés ont arrêté leurs ventes d’or, après avoir lourdement été critiquées étant donné le mauvais timing de ces opérations (lire ici et ici), les banques centrales des pays émergents, devant l’explosion de leurs balances commerciales et de leurs réserves de changes, ont commencé à acheter de l’or à titre de diversification. Ainsi, les Banques centrales de Chine, de Russie ou encore du Kazakhstan, ont toutes augmenté sensiblement leurs réserves d’or ces dernières années. La raison en est simple comme nous l’explique Mervyn King, l’ancien gouverneur de la banque d’Angleterre de 2003 à 2013 : au-delà de la raison objective de diversification, de décorrélation et de survie, et malgré l’absence de rendement de cet actif, « lorsque des choses inattendues arrivent, particulièrement lorsque les gouvernements émergent ou s’effondrent, alors l’or est un moyen de paiement que tout le monde est prêt à accepter. C’est la raison pour laquelle les banques centrales ont toujours accordé un rôle à l’or dans leurs réserves ». Plus que cela, il ajoute, à propos des banques centrales des pays émergents : «je peux comprendre pourquoi ils ressentent le besoin d’avoir une partie de leurs avoirs sur l’or. Au cours de la dernière décennie, la créance de certains pays émergents sur les Etats-Unis s’est accrue. Qui sait de quoi demain sera fait, et la Chine et d’autres pays ne veulent pas se retrouver dans la situation où tous leurs avoirs internationaux sont dans les faits dépendants des USA. » En clair, l’avantage de l’or est qu’il n’est la dette de personne… Car King ajoute : « Bien sûr les Etats-Unis ne voudront pas revenir sur leurs dettes, mais si une conflagration terrible arrivait, alors tous les actifs chinois sur le sol américain pourraient être annulés ». Cela laisse sans voix dans la bouche d’un banquier central… (Pour retrouver l’intégralité de l’interview de Mervyn King, lire ici, page 14).

Mais depuis 6 ans, les banques centrales des pays émergents achètent pour diversifier leurs risques vis-à-vis des devises étrangères. L’or présente l’avantage de n’être la dette de personne.

King n’est pas le seul à accorder un rôle de choix à l’or dans l’allocation des banques centrales. On a ainsi vu ces dernières semaines, émerger une proposition de Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du FMI. Celui-ci conseille aux banques centrales des marchés émergents d’investir dans l’or ! Plutôt surprenant (lire ici)… L’idée est la suivante : en ayant tous recours aux obligations d’état des pays développés pour investir leurs réserves de change, les banques centrales poussent les taux de rémunération de ceux-ci toujours plus bas. Si elles décidaient de vendre une partie de ces obligations (Rogoff parle de 10% du total de leurs réserves) pour acheter de l’or, elles transformeraient un actif dont le prix est bloqué par des taux proches de zéro, contre un actif – l’or – dont la quantité disponible est limitée, mais dont le prix, lui, peut évoluer sans limite à la hausse. En clair, Kenneth Rogoff est en train de nous dire que les banques centrales auraient tout intérêt à vendre de la dette d’état, pour acheter de l’or dont le prix pourrait s’envoler et leur profiter !

Ce raisonnement appelle quelques remarques. D’abord, Rogoff propose aux pays émergents de transformer 10% de leurs réserves, arguant que cela les mettrait encore très loin des standards de détention des pays développés. Prenons l’exemple de la Chine qui, d’après l’économiste, possède actuellement des réserves de change de l’ordre de 3 300 milliards de dollars. On parle donc d’un achat d’or de 330 milliards de dollars de métal jaune soit, sur la base des cours actuels de l’once d’or, environ 8000 tonnes ! Pratiquement 2 ans et demi de production mondiale, autant que les réserves d’or de la FED ! Autant dire, comme le précise Rogoff, que le cours de l’or n’est pas limité à la hausse car, dans un tel scénario, il est très probable que le prix du métal jaune connaîtrait effectivement une forte appréciation. D’autant que nous n’avons parlé là que de la Chine…

Les volumes concernés sont colossaux et pourraient faire fortement monter le prix du métal jaune

Ensuite, l’argument de Rogoff est de dire que cette opération ne bénéficierait pas qu’aux pays émergents, dans la mesure où les pays développés possèdent déjà de grandes réserves d’or qui pourraient ainsi s’apprécier. Ceci est certes vrai, mais les réserves officielles de la FED par exemple, s’élèvent à 8000 tonnes aujourd’hui. Ce sont les plus importantes au monde. Ainsi, même un doublement du prix de l’or ne leur permettrait de gagner « que » 300 milliards de dollars, soit à peine 1,5% de PIB, et ce une seule fois. Mais il ne faut pas oublier par ailleurs, l’impact que les ventes d’obligations par les banques centrales émergentes auraient sur les taux d’intérêts auxquels pourraient se financer les économies développées. Et là, l’impact est durable et porte, pour les Etats-Unis par exemple, sur plus de 19 000 milliards de dollars de dettes…

Par Benjamin Louvet

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