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L’Arabie saoudite: le pays géniteur du salafisme

A l’occasion de la visite de l’Américain Donald Trump, le roi Salmane d’Arabie saoudite a fait venir une dizaine de chefs d’Etat africains dans son palais de Ryad. Mais de quel partenariat s’agit-il ? Pierre Conesa, auteur de « Docteur Saoud et Mister Djihad, la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite », répond aux questions de Christophe Boisbouvier sur RFI.

RFI : Lors du sommet de Riyad, le roi Salmane d’Arabie saoudite a été encore plus direct que Donald Trump contre l’Iran. Il a accusé ce pays d’être « le fer-de-lance du terrorisme mondial ». Qu’en pensez-vous ?

Pierre Conesa : C’est de la pure langue de bois. Le terrorisme qui nous frappe nous, en tout cas Européens, ne fait aucun doute : c’est du terrorisme salafiste jihadiste. C’est-à-dire, c’est une branche du sunnisme qui se raccroche au wahhabisme, à l’idéologie religieuse qui est celle de l’Arabie saoudite.

Dans son discours de ce week-end, le roi Salmane d’Arabie s’est dit déterminé à éliminer le groupe Etat islamique et toutes les organisations terroristes, quelles que soient leur religion, leur confession ou leur idéologie ?

C’est bien de le dire, encore faut-il le faire. Il avait dix-sept avions contre Daech, c’est-à-dire autant que le Danemark et la Hollande réunis, en fait, il les a retirés pour en mettre une centaine contre les Houthis au Yémen. Je veux bien qu’il explique qu’il soit décidé à combattre Daech, mais je ne le crois pas.

Et pour montrer que ce ne sont pas que des mots, le roi Salmane, les cinq autres chefs d’Etat du Golfe et des Etats-Unis ont annoncé ce week-end la création d’un centre de contrôle contre les sources de financement du terrorisme ?

Ce qui caractérise l’argent du terrorisme, c’est que c’est de l’argent propre qui devient sale. Ce n’est pas comme l’argent criminel, ce n’est pas de l’argent sale gagné avec du trafic de drogue ou de la prostitution qu’il faut blanchir. L’argent du terrorisme, c’est le contraire. C’est-à-dire que des gens de bonne volonté donnent de l’argent à des ONG qui se constituent, par exemple, au moment du pèlerinage. Les gens donnent parce que c’est à la fois une obligation religieuse et c’est un geste humanitaire. Simplement, on ne sait que cet argent va vers le terrorisme que quand on sait qui est le destinataire final. C’est un vœu pieux.

Est-ce que le roi n’a pas enfin compris qu’il fallait que son entourage cesse de soutenir financièrement un certain nombre d’ONG proches des réseaux terroristes ?

Peut-être qu’effectivement, il faut lui accorder le bénéfice du doute. Mais enfin, quand les Américains ont identifié après le 11 septembre à la fois la fondation al-Haramain qui finançait directement al-Qaïda, plus je crois l’équivalent de 357 ONG qu’ils ont identifiées comme sources du terrorisme, vous prouvez qu’on avait un pays qui était profondément vérolé. Et l’Arabie saoudite n’a pas supprimé toutes ses associations. Elle a supprimé al-Haramain et effectivement, il reste aujourd’hui des ONG qui peuvent se créer à façon et qu’il est extrêmement difficile de contrôler.

Y compris en Afrique de l’Ouest ?

Alors le cas de l’Afrique de l’Ouest à mon avis est un peu d’une autre nature. C’est-à-dire que là, on a une politique ancienne de diplomatie religieuse dans les pays d’Afrique sahélienne et d’Afrique de l’Ouest qui remonte à l’époque de la lutte contre Nasser, ça remonte à loin. Et cette diplomatie religieuse visait depuis longtemps à ouvrir des écoles coraniques, à attirer les meilleurs vers l’université islamique de Médine et ensuite à renvoyer ses commissaires politiques faire de la prédication dans tous ces pays de la zone sahélienne et de l’Afrique de l’Ouest. Donc aujourd’hui, ce qu’on constate au Mali, mais aussi en RCA et aussi au Niger, c’est la présence de ces anciens de l’université de Médine qui tiennent toutes les structures représentatives des musulmans et qui prêchent un islam salafiste.

Vous pensez à qui par exemple ?

Par exemple [l’imam Mahmoud] Dicko, le président de l’Association des musulmans du Mali qui a, par exemple, à l’occasion de l’attentat contre le Radisson Blu [le 20 novembre 2015], a fait un communiqué extrêmement ambigu en refusant de condamner l’acte terroriste. De temps en temps, c’est l’explication par l’homosexualité, de temps en temps c’est l’explication par le colonialisme. Je pense à des gens comme ça. Puis d’autre part, on constate que dans toute cette zone sahélienne, le salafisme qu’on pourrait appeler l’idéologie révolutionnaire parce que ces gens diplômés arrivent dans un pays en expliquant que tous les dignitaires religieux ne sont pas de vrais musulmans parce qu’ils ne parlent pas l’arabe, parce qu’ils ne sont pas capables de lire le Coran, parce qu’ils sont compromis par tous les régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance. Donc eux, les salafistes sont les véritables tenants d’une société juste, égalitaire, non corrompue, etc. Le Sénégal étant d’ailleurs un de ces pays directement aujourd’hui pénétrés par cette idéologie salafiste.

Mais quand on écoute le roi Salmane dans son discours de ce week-end, on a vraiment le sentiment qu’il a renoncé à cette diplomatie religieuse ?

Non, je n’en crois pas un mot. Cette diplomatie religieuse, il faut bien comprendre que le régime saoudien est appuyé sur deux piliers qui sont évidemment la dynastie des Saoud, qui exerce le pouvoir politique, mais aussi la dynastie des Hashem, c’est-à-dire les descendants d’Abdel Wahhab, le fondateur du wahhabisme. Vous regarderez le pouvoir du grand mufti en Arabie saoudite, il tient l’éducation, le système judiciaire. Et à chaque fois que ce régime est pris dans ses contradictions, à chaque fois que la dynastie des Saoud a besoin des Occidentaux pour sauver sa tête -91, guerre du Golfe, 79 occupation de la Grande mosquée-, à chaque fois, il est obligé de demander l’accord, l’aval, le quitus des religieux. Donc les religieux qui sont quand même aussi habiles que nos jésuites trouvent toujours une bonne raison de justifier cet appel aux mécréants, mais en échange, le roi est obligé de leur concéder plus de pouvoir. C’est-à-dire qu’à chaque crise, la crise s’est traduite par plus de religion en Arabie saoudite. Et donc prétendre aujourd’hui que les Saoud à eux seuls sont capables de soumettre les Hashem à une ouverture politique et religieuse, ce n’est pas possible. La meilleure traduction, c’est justement qu’ils ne combattent Daech.

Alpha Condé, Macky Sall, Alassane Ouattara, Ibrahim Boubacar Keïta, Roch Marc Christian Kaboré, Faure Gnassimbé, Mahamadou Issoufou, Idriss Déby, Ali Bongo, il y avait de nombreux Africains ce week-end parmi les quelque 50 chefs d’Etat du monde arabe, musulman et africain, réunis à Riyad. Est-ce que ce n’est pas un joli coup diplomatique de la part du roi Salmane d’Arabie ?

Tout à fait. Effectivement, l’Arabie saoudite est un tiroir-caisse qui est beaucoup plus abondant que ne le sont les pays occidentaux en crise depuis déjà un certain nombre d’années, oui bien sûr. Mais aller chez le pays géniteur de ce salafisme qui s’est propagé sur la planète et qui est à l’origine de tous les attentats que nous avons connus nous, mais qui sont aussi en Afrique, cela a quelque chose d’un peu paradoxal quand même. Si le géniteur lui-même ne change pas dans sa propre société, tous les mécanismes qui ont donné naissance à ce salafisme, qui le propagent, qui l’aident, qui le forment, etc., je ne vois pas comment on peut imaginer que c’est en Arabie saoudite que va se résoudre la question.

Lien vers l’interview audio sur le site de RFI

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