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La transition énergétique peut-elle devenir un véritable levier pour la réindustrialisation de la France

L’Union européenne a récemment décidé que les émissions de CO2 des voitures neuves devraient baisser de 50 % entre 2021 et 2030, ce qui implique une électrification des ventes à marche forcée avec une voiture neuve sur deux électrique dans dix ans.

Emmanuel Macron a par ailleurs fixé comme objectif pour la France que 1 million de voitures électrifiées y soient assemblées en 2025 puis 2 millions en 2030, à comparer aux 1,5 million de voitures principalement thermiques qui sont sorties de nos chaines d’assemblages en 2021.

Pour les constructeurs motoristes, mais aussi pour un pays producteur de voitures comme la France, cet abandon de ce qui constitue le cœur de ses compétences est un risque économique majeur avec des dizaines de milliers d’emplois qui pourraient disparaitre si, en contrepartie, les voitures électriques et leurs batteries n’y sont pas assemblées, comme c’est le cas actuellement avec 80% des voitures électriques vendues en France importées.

À l’instar de la Chine qui a longtemps favorisé le développement de ses champions nationaux, l’Europe et ses États membres pourraient conditionner l’octroi de leurs aides aux voitures électriques dont la production ainsi que celles de leurs batteries est majoritairement décarbonée.

Une telle norme permettrait à la France de mieux valoriser un de ses principaux atouts – une électricité très faiblement carbonée – et d’encourager, en la complétant d’une bonus pour les voitures les plus légères, la production de petites voitures dont elle était jadis championne mais en version électrifiée après 20 années de délocalisation qui ont vu la production de voitures en France s’effondrer de 3,7 millions en 2004 à 1,5 million en 2021, avec la perte associée de 150 000 emplois directs et plus de 500 000 emplois indirects.

Constat : La désindustrialisation a contribué malgré elle à la baisse de nos émissions de CO2

L’industrie manufacturière est le secteur qui a le plus contribué à la baisse des émissions de CO2 de la France depuis 1990 avec plus de 40% de baisse de ses émissions grâce notamment aux gains d’efficacité énergétique mais aussi à la fermeture et à la délocalisation d’usines dans des pays au mix électrique plus carboné que le nôtre.

Evolution des émissions de gaz à effet de serre par secteur en France de 1990 à 2019

Une partie de la baisse de nos émissions de CO2 s’est donc réalisée au détriment des trois piliers du développement durable :

– de l’économie avec la délocalisation d’usines et l’apparition d’un déficit de notre balance commerciale sur les biens manufacturés

– du social avec les pertes d’emplois associées à ces délocalisations d’usines

– du climat en délocalisant les usines dans des pays avec des mix électriques plus carbonés

Par conséquent, réindustrialiser la France permettrait :

– de faire renaître notre secteur industriel

– de réduire le déficit record de notre balance commerciale alors que la France a le déficit commercial le plus élevé de l’Union Européenne avec 80 milliards d’€ en 2020 quand l’Allemagne et l’Italie ont des excédents commerciaux respectivement de 182 et 64 milliards d’€

– de maintenir des emplois industriels directs associés à de nombreux emplois indirects (1 pour 4 dans l’automobile). Néanmoins, le pouvoir d’achat des ménages pourrait aussi être impacté négativement avec des produits plus chers

– de limiter notre dépendance vis-à-vis de la Chine qui contrôle l’approvisionnement des matières premières critiques comme le Nickel ou le Cobalt, dont le raffinage est assuré à 80% par la Chine

– de diminuer l’empreinte carbone associée à la fabrication des produits,

Cette réindustrialisation permettra de limiter les « fuites carbones » et de diminuer enfin notre empreinte carbone, alors que nos émissions importées ont augmenté de 70% depuis 1995 et qu’elles représentent désormais plus de la moitié de notre empreinte carbone.

Estimation de l’évolution de l’empreinte carbone 1995 – 2019

A l’instar de la Chine qui a mis en place des politiques environnementales afin de devenir la base mondiale de production des voitures électriques, les politiques environnementales que nous mettrons en place doivent aussi intégrer les enjeux industriels et économiques afin qu’elles puissent devenir un véritable levier à la réindustrialisation de notre pays en évitant de subventionner nos importations comme c’est le cas depuis 2008 pour le secteur automobile avec la mise en place du bonus-malus écologique favorisant des petites voitures dont la production avait été malheureusement délocalisée

La France subventionne actuellement à hauteur de 6000€ des voitures électriques dont la batterie a été fabriquée en Chine et en Pologne, ce qui a représenté l’an dernier plus de 300 M€ de subventions pour la production de batteries en Chine et en Pologne, soit d’avantage que pour la production décarbonée de batteries en France – 200M€ en 2020 ?

Le cas de l’industrie automobile : une transition énergétique qui se fait pour l’instant au détriment de l’emploi, de la balance commerciale et de notre souveraineté

L’industrie automobile européenne et ses 2,7 millions d’emplois directs est à un véritable tournant : elle doit désormais vendre de plus en plus de voitures avec des marges de plus en plus limitées, où une grande partie de la valeur ajoutée – la batterie – lui échappe.

Elle doit aussi faire face à des nouveaux concurrents – Tesla, les constructeurs chinois, mais aussi ses propres constructeurs qui installent la production de certaines voitures électriques en Chine comme la DS9, la Citroën CX5, la Smart électrique, la BMW iX3 ou encore la Dacia Spring.

Quant à l’industrie automobile française, après 20 ans de désindustrialisation et plus de 150 000 emplois direct perdus, équivalent à un total de 750 000 en prenant en compte les emplois indirects associés, elle est au pied du mur alors que l’un de ses derniers avantages compétitifs – la petite voiture légère – est sur le point de disparaitre.

Cette petite voiture légère avait été encouragée par la France au début des années 1990 pour soutenir l’activité dans ses usines et ses réseaux de distribution face à la crise économique concomitante avec l’arrivée des constructeurs japonais : c’est d’ailleurs la principale politique industrielle mise en place en France sur le secteur automobile depuis 1990, qui s’est avérée à l’époque être un succès en sauvant des dizaines de milliers d’emplois menacés.

Néanmoins, la mise en place en 2008 d’un bonus écologique encourageant l’achat de voitures dont la production avait été en très grande partie délocalisée a accentué la dégradation du déficit commercial du secteur automobile avec pour la 1ère fois la balance commerciale qui passe en territoire négatif.

Evolution du solde commercial par produit* de 2000 à 2020

*Données CAF/FAB hors matériel militaire
Source :
Direction générale des douanes

En effet, la grande majorité des petites voitures à faibles émissions a été délocalisée dans la décennie 2000 en Europe de l’Est, en Turquie et au Maghreb. La Toyota Yaris est d’ailleurs la seule voiture du segment B à être encore assemblée en France dans l’usine de Valenciennes alors que trois quart des voitures les plus vendues en France en 2020 n’y étaient pas assemblées.

Lieu d’assemblage des 20 voitures les plus vendues en France en 2020

Après 20 ans de désindustrialisation, qui expliquent en partie la baisse de nos émissions de CO2, les politiques environnementales pourraient devenir un véritable levier à la réindustrialisation de la France si elles prennent aussi en compte leur impact sur l’emploi, sur la balance commerciale, sur la souveraineté de la France ainsi que sur le climat.

Cela permettrait de rééquilibrer notre balance commerciale en donnant un avantage compétitif aux voitures produites localement alors que voitures électriques sont importées en grand majorité – 80% depuis le début de l’année 2021.

Comment la transition énergétique peut-elle être un véritable levier pour la réindustrialisation du secteur automobile?

30 après avoir sauvé son industrie automobile en devenant la base mondiale de fabrication de la petite voiture diesel, la France doit mettre en place des politiques environnementales qui lui permettent de faire renaitre son industrie automobile en incitant l’assemblage des petites voitures électriques et la fabrication de leur batteries avec de l’énergie décarbonée, et de devenir à terme la base européenne de fabrication de la petite voiture électrique comme le souhaite Emmanuel Macron avec des objectifs ambitieux d’1 millions de voitures électrifiées produites en France en 2025 et 2 millions à horizon 2030.

Ce qui est prévu à date au niveau européen aura un impact limité sur la production de voitures électrifiées en France à horizon 2025

Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

Afin d’éviter les « fuites carbones » consécutives au renforcement de la tarification du carbone en Europe et pour ne pas pénaliser ses propres producteurs, l’Union Européenne va mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) afin que les secteurs européens soumis aux quotas ETS ne soient pas pénalisées face à leurs concurrents produisant dans des pays où le carbone est moins voire pas du tout taxé.

Le secteur de l’industrie automobile ne serait néanmoins pas concerné par un tel mécanisme, qui devrait s’appliquer à partir de 2026 aux importations d’acier, d’aluminium.de ciment, d’engrais et d’électricité.

Il pourrait néanmoins être impacté négativement par la mise en place de ce MACF si les constructeurs automobiles décident de contourner le mécanisme en assemblant la voiture en dehors de l’Union Européenne pour éviter que l’acier employé pour la fabrication de la voiture ne soit impacté par ce mécanisme : nous aurions alors potentiellement des « fuites carbones » vers l’aval de la chaîne de valeur tant que le secteur de l’industrie automobile ne serait pas concerné par ce mécanisme.

Norme sur le contenu carbone associée à la fabrication des batteries

La Commission Européenne travaille actuellement à la mise en place d’un label à horizon 2026 sur l’empreinte carbone associée à la fabrication des batteries, qui devrait être suivi d’une norme – un niveau maximal à respecter – à partir de 2027.

Ces propositions ne seront néanmoins pas mises en place avant 2026/2027 alors que la Chine aura peut-être déjà dépassé la France comme 2ème pays producteur de voitures électriques vendues en Europe derrière l’Allemagne.

Quel sera le niveau maximum d’émissions que la fabrication de batteries devra respecter ? La Commission Européenne arrivera-t-elle à imposer que la batterie et ses principaux composants soient fabriqués avec de l’énergie décarbonée afin que ces voitures « vertes » puissent aussi être équipées d’une batterie « verte » ?

Anticiper les initiatives européennes sur l’empreinte carbone des batteries

Si le niveau maximum d’émissions associées à la fabrication de la batterie n’a pour l’instant pas été défini, la méthodologie de calcul de ces émissions est en cours de développement et devrait être adoptée d’ici fin 2023 : il serait donc possible d’anticiper de 2 ans la mise en place de ce label au niveau européen.

Par ailleurs, la France pourrait prendre le leadership européen en conditionnant ses aides à l’achat aux voitures électriques dont les batteries sont fabriquées sans énergies fossiles afin d’encourager la production de la batterie avec ses principaux composants, comme la cathode, en France. Pour rappel, le gaz naturel est actuellement la principale source d’énergie utilisée dans la fabrication des batteries.

Les constructeurs automobiles pourront continuer d’équiper leurs voitures électriques de batteries fabriquées avec des énergies fossiles, mais elles ne seront plus éligibles aux aides gouvernementales, ce qui permettra de mettre fin notamment aux subventions des industries chinoises et polonaises de fabrication de batteries avec de l’argent public (300 millions d’€ en 2020 avec 50 000 VE x 6000€), et donc d’arrêter de subventionner nos importations et notre déficit commercial, ce qui est le ca depuis plus de 10 ans avec le bonus écologique sur les émissions de CO2

Encourager la vente de voitures plus légères avec des incitations ciblées

En complément de cette norme sur la fabrication de la batterie sans énergies fossiles, la France devrait mettre en place, en regard du malus prévu à partir de janvier 2022 sur les voitures thermiques les plus lourdes (>1,8t), un bonus sur le poids des voitures électriques les plus légères (<1,3t hors batterie).

Cela permettrait à une voiture électrique de segment A ou B, comme la future Renault 5 électrique, qui sera assemblée à partir de 2024 à Douai, de bénéficier d’un bonus supplémentaire, conditionné lui aussi à la fabrication sans énergies fossiles de la batterie.

Mettre un terme au « bonus » européen pour les véhicules les plus lourds

Alors que les constructeurs français s’étaient positionnés depuis les années 1990 sur le segment des petites voitures légères économes en carburant, avec notamment la technologie diesel, l’exécutif français accepte en 2008 ce que les constructeurs allemands demandaient depuis une dizaine d’années : une modulation des objectifs de réduction des émissions de CO2 en fonction du poids des voitures – un système que Renault, PSA et FIAT avaient réussi jusque-là à éviter au niveau européen.

Cette concession, monnayée en échange du soutien de l’Allemagne lors de la 15ème conférence des parties à Copenhague en 2009, a réduit à néant l’avantage compétitif que les constructeurs français avaient développé depuis une vingtaine d’années avec des voitures plus légères. Elle instaura de fait un «  bonus » sur le poids, qui s’élève à 3 euros du kilogramme en 2020 : les constructeurs automobiles ont donc été incités à fabriquer des voitures de plus en plus lourdes et à arrêter la production des petites voitures plus sobres en carburant : Renault Twingo, Fiat Panda, Ford Ka, Peugeot 107 ou Citroën C1 pour n’en citer que quelques-unes.

La marge réalisée par les constructeurs automobiles sur la vente d’une voiture étant proportionnelle à son poids, les faibles niveaux de marge sur ces véhicules légers ne permettaient plus d’absorber le coût des systèmes de dépollution ainsi que la diminution des émissions sur ces voitures d’entrée de gamme, bien que leur production ait déjà été délocalisée.

A noter que sur ces petites voitures, une grande partie des gains associées à leurs émissions plus faibles est annulée par le durcissement de l’objectif pour le constructeur, le poids moyen des voitures vendues étant abaissé.

Ce « bonus » au poids de 3 euros par kilogramme condamne la France à ne produire que des voitures lourdes haut de gamme si elle veut conserver sur son sol l’assemblage de voitures étant donnée sa base de coûts plus élevés.

14 ans plus tard, la France accède à nouveau à la Présidence du Conseil Européen au 1er semestre 2022 et devrait essayer d’obtenir de ses partenaires européens la suppression de ce facteur de masse, qui de facto a conduit à l’augmentation de la taille des voitures et à la fin des petites voitures, au détriment des constructeurs automobiles français.

Ces mesures auront un impact sur les volumes qui seront produits dans ces usines françaises notamment en orientant le marché européen vers des voitures plus légères de segment A & B sur lesquels les constructeurs français sont bien positionnées.

Ventes de voitures particulières en Europe par segment de 2001 à 2019

Source : ICCT

Les ventes des voitures de segment A & B représentaient en effet 1/3 des ventes sur la décennie 2000 autour de 5 millions de voitures par an, avant que la France n’accepte en 2008 la mise en place d’un « bonus » sur le poids au niveau européen, pénalisant de facto les voitures légères des segments A & B et incitant les constructeurs à se lancer dans une course aux SUVs, dont les ventes ont été multipliées par 8 depuis 2001 avec 40% des ventes en 2021.

Si l’on fait l’hypothèse que la suppression de ce « bonus » sur le poids permettrait aux segments A & B de retrouver les volumes pré-2010, le segment A & B pourrait donc voir sa production augmentée de 25% pour passer de 4 millions de voitures en 2019 à 5 millions de voitures comme sur la décennie 2000.

Rendre obligatoire le marquage d’origine comme aux Etats-Unis pour mieux valoriser le made in France auprès des consommateurs

Certains consommateurs achètent une voiture de marque française afin de soutenir l’emploi en France: si c’est encore vrai en ce qui concerne la Recherche & Développement, ce n’est plus le cas pour l’assemblage de la grande majorité des voitures de marque française vendues dans l’Hexagone avec les trois quarts des voitures françaises les plus vendues qui sont assemblées ailleurs puis importées en France.

À la suite du scandale Volkswagen et des évaluations truquées des émissions d’oxydes d’azote (NOx), les consommateurs exigent de plus en plus de transparence de la part des constructeurs que ce soit sur les émissions de polluants atmosphériques, la consommation réelle de carburant ou encore l’origine des produits afin de pouvoir réaliser des arbitrages documentés dans leurs décisions d’achat.

Aux Etats-Unis, où la fraude de Volkswagen a été découverte et révélée, le marquage d’origine est obligatoire pour les voitures avec non seulement l’indication du lieu d’assemblage de la voiture, mais aussi le lieu de fabrication du moteur et de la transmission.

Indiquer le lieu d’assemblage de la voiture ainsi que celui de la fabrication de la batterie, comme c’est le cas aux Etats-Unis, pourrait retenir le soutien de l’Allemagne et de son célèbre « deutsche Qualität », ce qui permettrait à une majorité qualifiée d’émerger au sein de l’Union Européenne afin que cette mesure puisse être adoptée.

Nicolas Meilhan

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