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Contre-spéculation sur le rouble

La journée de lundi 22 a vu se poursuivre le mouvement à la hausse du rouble. Elle a même été marquée par une spéculation POUR le rouble et CONTRE le dollar américain USD ainsi que le prouvent les mouvements sur le marché des changes. C’est donc à un renversement spectaculaire par rapport à la situation de la semaine dernière que l’on assiste. Ce renversement laisse tous les « experts » qui tels des oiseaux de mauvaise augure ne cessaient de prévoir le pire pour l’économie russe sans voix. Il confirme la confiance que l’on peut avoir dans les fondamentaux de l’économie russe qui restent très sains. Une petite explication de ce qui est survenu aujourd’hui s’impose néanmoins.

La journée commence en effet avec un taux de change de 58 roubles pour 1 USD. Les spéculateurs vendent leurs dollars et achètent massivement du rouble avant l’ouverture de la séance, ce qui fait chuter le taux de change en quelques minutes à 56 r/1USD marquant ainsi une appréciation du rouble. Il remonte après ces achats puis commence à s’apprécier à nouveau et atteint 54,5 roubles pour 1 USD vers 15h. Les spéculateurs vendent alors leurs roubles pour acheter du dollar provoquant une remontée du taux de change vers 56r/1USD mais la demande pour le rouble est telle que cette dépréciation du rouble ne dure pas et il revient, en fin de séance vers les 54r/1USD.

Graphique 1

Mouvements du rouble face au dollar le 22/12

A - chart

Ce processus est, bien entendu le résultat de la contre-attaque des autorités depuis mercredi dernier. Il correspond aussi à l’officialisation de l’annonce du soutien de la Banque Centrale de la Chine (la PBOC) qui garantit à la Banque Centrale de Russie, dont les réserves sont déjà importantes (420 milliards de dollars) qu’elle pourra compter sur l’immense masse de manœuvre de la PBOC (dont les réserves sont estimées à 4000 milliards de dollars). Il n’y a très clairement plus d’avenir à une spéculation contre le rouble. Mais, il y a toujours des spéculateurs sur le marché. Ces derniers ont donc décidé de jouer désormais pour le rouble. On peut, et on doit, considérer cela comme un signe positif, mais il faut cependant rappeler plusieurs choses :

  1. Une spéculation pour le rouble signale néanmoins le maintien d’anticipations spéculatives sur le marché des changes. Le calme n’est donc pas encore revenu.
  2. Cette spéculation pour le rouble pourrait entraîner le rouble trop loin. S’il est bon de revenir à un taux de change compris entre 50 et 55 roubles pour 1 USD il ne faudrait pas que le rouble monte au-delà de 50 (peut-être jusqu’à 42-45) car, en ce cas, cela poserait des problèmes fiscaux au gouvernement. Tant que le prix du baril de pétrole restera compris entre 55 USD et 60 USD le taux de change normal pour la rouble se situera entre 50 et 55 roubles pour 1 USD. Pour que le rouble puisse remonter au-delà de 50r/1USD il faudra attendre que le baril de pétrole monte au-delà de 70 USD, ce qui devrait survenir vers mars-avril de 2015.
  3. Le problème risque de se poser avec acuité dès le début du mois de janvier. Les remboursements des entreprises et des banques seront très faibles en janvier par rapport à ce qu’ils étaient en décembre. Les achats de produits importés (en USD) vont se tarir après les fêtes de Noël. Tout se met en place pour une remontée brutale du rouble qui pourrait être aussi déstabilisatrice que sa baisse brutale. Bien sûr, un tel mouvement peut se contrôler par la Banque Centrale qui achètera des dollars (et vendra des roubles). Mais, si ce mécanisme peut lui permettre d’augmenter ses réserves il aboutit à injecter des roubles dans l’économie, et cela en période où l’inflation sera forte.

 

Ces différents facteurs font que la question d’un possible contrôle des capitaux reste posée aujourd’hui en Russie. Le gouvernement ne veut pas entendre parler du contrôle des changes, et il a très probablement raison dans la situation actuelle. Mais, le contrôle des capitaux revient à laisser le marché des changes fonctionner librement tout en régulant les quantités de capitaux qui, dans un sens ou dans un autre, viennent sur ce marché. D’ailleurs, c’est déjà ce qu’a fait la Banque Centrale de Russie en modifiant temporairement sa réglementation prudentielle pour les banques le 17 décembre afin de limiter leurs besoins en dollars. L’introduction d’une réglementation portant sur les mouvements de capitaux à court terme, à l’entrée comme à la sortie, serait alors une mesure complémentaire aux mesures déjà prises. Le gouvernement dispose de deux à trois semaines pour prendre ces mesures. Elles auraient l’immense avantage de déconnecter le taux d’intérêt du marché des changes. Ceci permettrait de faire baisser le taux d’intérêt à un niveau plus compatible avec l’investissement, c’est-à-dire en le ramenant vers 10,5% alors qu’il est actuellement de 17%. Sinon, le gouvernement sera contraint, s’il ne veut pas sacrifier l’investissement, d’user de méthodes administratives (comme des subventions d’investissement ou des crédits bonifiés) afin de compenser un taux d’intérêt bien trop élevé.

La Russie a traversé une grave attaque spéculative et semble tirée d’affaires désormais. Mais, ceci ne garantit pas encore un retour à une situation normale. Si le gouvernement veut limiter le choc sur la croissance de cette attaque le plus possible et mettre en place les conditions qui permettront à l’activité de se développer en profitant des avantages d’une large dépréciation du rouble qui redonne à l’économie sa compétitivité, il doit impérativement agir de manière décisive dans les semaines qui viennent.

Par Jacques Sapir

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3 réponses
  1. ph11
    ph11 dit :

    Toujours interpréter tous les problèmes russes sous l’angle du complot américain, de la guerre économique et d’un plan d’une volonté malveillante obscure, de la juiverie des banquiers et des spéculateurs…
    Enfin, le truc, c’est que s’il ne le faisait pas, JS devrait reconnaître qu’il s’est sacrément bien planté…

  2. Ivan
    Ivan dit :

    @ph11: Pourtant il faut bien appeler les choses par leur nom, il y a une volonté occidentale de déstabiliser la Russie et puisqu’on ne peut pas le faire militairement, on le fait économiquement. Je ne pense pas que tous les pays occidentaux se soient réveillés un jour en se disant: «tiens il fait beau aujourd’hui, on va faire de Poutine le grand adversaire du monde libre à grand renfort de propagande !»

    «Complotiste», pfeuh ! Trop facile. L’Histoire est faite d’ententes plus ou moins tacites (sans parler de «complots»). Sans eux, la seule explication à ce monde, c’est l’ignorance. Progression de l’hégémonie américaine avec ses vassaux ou alors, tous les secteurs (économique, politique…) dans tous les pays seraient gérés par 100% d’abrutis depuis 50 ans ? En termes de probabilités, mon choix est fait

  3. Trend
    Trend dit :

    D’une manière plus pragmatique, celui qui est en position de force est celui qui est sur-endetté car si ce dernier ne rembourse pas alors le créancier ferme boutique surtout si ce créancier à sa balance commerciale exédentaire envers sont client principal qui lui est sur-endetté envers lui. La Chine exporte vers les US mais doit acheter de la dette US en échange sinon pas d’exportation évaluée exédentairement à plus de 400 milliards de US$ sic…
    La Chine doit vraiment passer des nuits blanches….

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