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Un vent de désinformation souffle sur Le Monde et la France (Info) 2.0

Certains d’entre vous se rappellent peut-être de la première saison de cette nouvelle série, qui s’était terminée dans l’indifférence la plus totale pendant les vacances estivales par une question restée en suspens : sulfates or no sulfates? That is the question. Les attaques ad-hominem dont j’avais été la cible m’avaient cependant permis de formuler 10 propositions concrètes pour lutter efficacement contre la pollution en Europe – je préfère voir le verre à moitié plein.

Pour cette deuxième saison, on retrouve nos trois personnages principaux – l’Allemagne, les Décodeurs du Monde et France Info – pour « fact-checker » qu’en Allemagne, le charbon n’a pas remplacé le nucléaire et que l’Allemagne n’a pas compensé son retrait du nucléaire par l’ouverture de centrales à charbon.

  

« Le déclin du charbon dans le mix électrique s’explique notamment par la forte poussée des énergies renouvelables »

 

Pourquoi c’est faux?

La production annuelle d’électricité à base de charbon et de lignite en 2016 (261.5 TWh) est quasiment au même niveau qu’en 2010 (262.9 TWh), avant que l’Allemagne ne décide de fermer 8 réacteurs nucléaires suite à l’accident de Fukushima.

Par contre, le déclin du nucléaire dans le mix électrique depuis 2010 (-56 TWh) s’explique effectivement par la forte poussée des énergies renouvelables intermittentes (+67 TWh).

Production d’électricité en Allemagne par source de 1990 à 2017 (en TWh)

Source: AG Energiebilanzen 2017

 

« Ces nouvelles capacités de production propre d’électricité ont permis de fermer 34 centrales à charbon entre 2011 et 2015 »

 

Pourquoi c’est faux?

Si 34 centrales à charbon et lignite (5,9 GW) ont  bien été fermées de 2011 à 2015, les Décodeurs du Monde oublient de préciser que 11 nouvelles centrales à charbon et lignite d’une capacité totale de 9 GW ont été ouvertes sur la même période, soit plus que pendant les deux décennies qui ont suivi la chute du mur de Berlin.

La décision de construire ces nouvelles centrales à charbon et lignite, prise entre 2005 et 2008, faisait suite à la décision du gouvernement de Gerhard Schröder en 2000 de fermer l’intégralité des centrales nucléaires d’ici 2022, condition sine qua non à la formation d’une coalition avec les Verts lors des élections fédérales de 1998.

En 2009, Sigmar Gabriel, alors Ministre de l’Environnement, avait d’ailleurs estimé qu’il faudrait construire entre 8 et 12 nouvelles centrales à charbon afin de pouvoir sortir du nucléaire.

Projets de nouvelles centrales à charbon et lignite en Allemagne depuis 2006

Source : Kohle Atlas 2015, Heinrich Böll Foundation and BUND

Les projets de centrales empêchés ou abandonnés depuis 2007 sont en vert et bleu, les projets planifiés ou en construction en 2015 en jaune et orange et les nouvelles centrales ouvertes entre 2012 et 2015 en rouge.

« Ces nouvelles capacités de production propre d’électricité » ne se sont donc pas substituées à ces 34 centrales à charbon et lignite, puisque celles-ci ont été remplacées par une puissance encore plus grande de ce type de centrales, dont les capacités installées ont augmenté de 3.1 GW de 2011 à 2016.

« Ces nouvelles capacités de production propre d’électricité » n’ont d’ailleurs eu aucun impact sur les capacités pilotables de production d’électricité, plus ou moins stables depuis l’an 2000, alors que la consommation annuelle d’électricité est en baisse depuis 2007 : il faut bien continuer de vivre (et de produire) quand le vent et le soleil sont aux abonnés absents.

Capacités pilotables de production d’électricité en Allemagne de 2000 à 2016

Source: AGEE, BDEW, Bundesnetzagentur

 

« En Allemagne, le charbon n’a pas remplacé le nucléaire »

 

Pourquoi c’est vrai ?

La production annuelle d’électricité à base de charbon et lignite en 2016 (261.5 TWh) est quasiment au même niveau qu’en 2010 (262.9TWh).

Le déclin du nucléaire dans le mix électrique (-56 TWh) s’explique notamment par la forte poussée des énergies renouvelables intermittentes (+67 TWh).

Pourquoi c’est faux ?

En 2010, l’Allemagne décide lors de son « Energiewende » de prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires de 12 ans pour pouvoir réduire sa production d’électricité à base de charbon et lignite. 6 mois plus tard, suite à Fukushima, les Allemands inversent l’ordre des priorités et décident de sortir totalement du nucléaire à horizon 2022.

La forte poussée des énergies renouvelables intermittentes (+45 GW depuis 2010) ne leur a pas permis de fermer à la fois des centrales nucléaires (-9.6 GW) et des centrales à charbon et lignite (+3.1 GW).

Capacités totales de production d’électricité en Allemagne de 2000 à 2016

Source: AGEE, BDEW, Bundesnetzagentur

 

Comment en effet se passer d’autant de capacités pilotables de production d’électricité pour pouvoir continuer à produire des grosses voitures de 1,5t et des machines-outils, y compris quand le soleil ne brille pas et le vent ne souffle pas : la sortie du nucléaire s’est donc substituée à celle du charbon, repoussée à un horizon plus lointain.

Si on s’intéresse de plus près aux nouvelles centrales à charbon ouvertes et aux centrales nucléaires fermées depuis 2010, les Allemands ont fermé 9,6 GW de centrales nucléaires et ont ouvert 9 GW de nouvelles centrales à charbon.

Cette coïncidence fortuite pourrait amener n’importe quel lecteur à une conclusion diamétralement opposée au titre choisi par les Décodeurs, notamment les jours où ni le soleil ni le vent ne sont là pour faire tourner l’industrie du plus grand exportateur mondial.

 

Au Royaume-Uni, le gaz a remplacé le charbon

 

Pourquoi c’est vrai?

Le Royaume-Uni a réussi en 5 ans à se débarrasser de sa production d’électricité à partir de charbon en appliquant une taxe carbone à 20€ la tonne, dont s’est inspirée Terra Nova qui recommandait fin août de l’appliquer aux énergéticiens français et allemands pour sortir du charbon.

Production d’électricité au Royaume-Uni par source de 1998 à 2016 (en TWh)

Source: BEIS, Guardian

Production d’électricité au Royaume-Uni à partir de gaz et charbon de 2013 à 2016 (en %)

Source: BEIS

 

On peut saluer ici le pragmatisme britannique dont la transition électrique s’articule sur 3 jambes avec un objectif de mix équilibré entre le de gaz, le nucléaire et les renouvelables.

 

En France, le gaz de schiste a remplacé le nucléaire

 

Pourquoi ce sera peut-être vrai?

Voici à quoi pourrait ressembler le titre d’un article des Décodeurs en 2025, quand nous aurons ramené la part du nucléaire à 50% du mix électrique : il va en effet falloir choisir entre des centrales à charbon (allemandes) et des centrales à gaz (de schiste) pour compenser la fermeture souhaitable de nos centrales nucléaires les plus anciennes, et assurer la recharge de nos voitures électriques (au charbon ou au gaz des schiste) lors des pointes de demande d’électricité en hiver.

Rassurez-vous cependant, vous aurez le droit à un temps d’adaptation puisque les plus chanceux d’entre vous pourront peut-être se chauffer au gaz de schiste dès cet hiver!

Nicolas Meilhan

PS1 : pour la petite histoire, l’article a été publié par les Décodeurs la veille du record absolu de production d’électricité à base de charbon et de lignite en Allemagne, avec plus de 40 GW de puissance appelée de 9h à 22h.

Production d’électricité en Allemagne par source en janvier 2017

Source : Energy-charts

PS2 : un an exactement après la publication de cette analyse, France Info a décidé à son tour de s’aventurer sur ce sujet compliqué et de nous gratifier d’un titre digne des meilleures « fausses nouvelles », ce qui est un comble quant on écrit pour la rubrique « le vrai du faux ».

Espérons que, comme les Décodeurs, ils auront l’honnêteté intellectuelle de corriger leur papier suite à ce fact-checking de fact-checkers.

 

3 réponses
  1. Nicolas Meilhan
    Nicolas Meilhan dit :

    En complément à ce papier, une excellente note publiée récemment par France Stratégie à ce sujet:

    Transition énergétique allemande : la fin des ambitions ?
    http://www.strategie.gouv.fr/publications/transition-energetique-allemande-fin-ambitions

    ainsi qu’un papier publié dans Nature par la directrice du département Energie, Transport & Environnement du German Institute for Economic Research (DIW Berlin):

    Germany must go back to its low-carbon future
    https://www.nature.com/news/germany-must-go-back-to-its-low-carbon-future-1.22555

  2. Bouddha Vert
    Bouddha Vert dit :

    Merci pour cette inquiétante mais savoureuse information, on se demande ce que fout Le Monde?

    Il faudra bien, un jour, ré-enseigner que la densité énergétique d’une source d’énergie, et sa pilotabilité ont été le cahier des charges historique qui a forgé notre monde.
    Le problème c’est qu’on pollue, surexploite… don ça ne peut plus durer longtemps.
    Changer de modèle énergétique et impérativement sans carbone changera tout, de nos modes d’alimentation, de chauffage, transport, de travail mais aussi notre temps libre, nos retraites et le reste…
    Pour le travail, avec moins d’énergie, il faudra de nouveau des bras, qui coûtent plus cher, et qui ne pourront réaliser les quantités réalisées par nos machines, donc une baisse de productivité, donc de pouvoir d’achat.

    Politiquement, évidemment, ce n’est pas vendeur, mieux vaut défendre l’idée que le progrés trouvera des solutions, c’est plus fun!

    Donc, merci également pour votre engagement.

  3. Ben
    Ben dit :

    Interessant.
    Une étude des achats et ventes d’electricité par l’allemagne serait pertinent. En effet, lors des pics de consomations, l’allemagne ne peut pas se reposer sur les énergies intermittentes et fait alors appel à ces centrales conventionnelles et aux échanges d’électricité européen.

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